UN 14 AVRIL sur les Archives de Le Monde

14 avril 1952

LE DIABLE A ROME


Les murs de la Ville éternelle sont couverts, en cette semaine sainte, d’une image assez effrayante où se voit la gueule noire d’un démon. Cette manifestation infernale, où l’on reconnaît l’un des diables du Jugement dernier de Michel-Ange, n’est que l’affiche d’une exposition qui se tient au palais Barberini. Son thème est  » le diabolique dans l’art  » : soixante toiles réunies de tous les coins d’Europe, trente estampes fameuses, des manuscrits oubliés, évoquent autour des grands ouvrages de Bosch et de Brueghel tout ce que l’imagination de la Renaissance a pu concevoir de singulier, de provocant, de difforme et de désespérant pour figurer le royaume du Mal, avec son personnel redoutable et agité, fait des passions et des vices de l’homme.

La Chute des damnés, de Dirk Bouts (Louvre) est ainsi associée aux multiples  » tentations de saint Antoine  » où les Flamands ont distribué à plaisir les tronçons déconcertants d’un univers absurde, à l’Apocalypse de Durer, aux fantômes d’un enfer piranésien conçu par Monsù Desiderio ; l’une des pièces les plus surprenantes de l’exposition est le panneau des Amants après la mort, deux pâles squelettes pourris conversant tristement, que M. Haug, conservateur du musée de Strasbourg, attribue à la jeunesse de Grünewald. Le fameux Solitaire de Brueghel donne enfin le ton moralisateur d’un sermon de carême à cet étalage de diableries qui cause à Rome un certain émoi. Un beau livre du professeur Castelli conservera le souvenir de cette exposition d’un esprit peu banal et en approfondit la leçon religieuse (Electa, édit., Florence).

Un congrès de philosophes et d’érudits intéressés à la Renaissance et à l’humanisme a été réuni à cette occasion. On y voyait E. d’Ors, les professeurs Hahnloser, de Berne ; D. Frey, de Vienne ; H. Sedlmayr, de Munich, et une importante délégation de la Sorbonne, avec MM. Bédarida, Gouhier, Hyppolite, Gandillac. Sous le signe du diabolique les entretiens ont porté tour à tour sur les figurations infernales et sur la raison d’Etat.

Le Monde

…l’une des pièces les plus surprenantes de l’exposition est le panneau des Amants après la mort, deux pâles squelettes pourris conversant tristement, que M. Haug, conservateur du musée de Strasbourg, attribue à la jeunesse de Grünewald.

COLLOQUE SENTIMENTAL

 

Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.

– Te souvient-il de notre extase ancienne ?
– Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?

– Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? – Non.

– Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignons nos bouches ! – C’est possible.

– Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
– L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.

Paul Verlaine, Fêtes galantes

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