Tu devrais arrêter d’écrire des fadaises Qui ne parlent qu’au papier Laisser tes mots errer Sur la falaise de sable Sur le buvard de l’encrier Tu devrais ignorer Giono Qui écrivit comme si de rien n’était Avec sa main à plume le jour où sa mère mourut Quand on t’annonça la disparition subite de la tienne Le vingt-sept septembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze Tu lisais précisément Le hussard sur le toit Elle avait passé une mauvaise nuit Mais s’était habillée pour voir encore une fois Le feu du matin jaillir du bois Sur la plaque de fonte Sur le visage de mon père Tu devrais arrêter d’écrire des fadaises Qui ne parlent qu’au papier Laisser tes morts errer
Archives de l’étiquette : écrire
À LA RECHERCHE D’UN MOT DE PASSE
Ce que j’écris ne se dit pas,
C’est étranger au règne des paroles.
Ce que je dis ne s’entend pas,
Inutile de le crier sur les toits
Et leurs ardoises
Ce que j’écris cherche ses marques,
s’ouvre aux feuillets cachés
qui font de mes écrits fragiles
et raturés un livre inachevé,
à la recherche de son mot de passe
ÉCRIRE APAISE
Écrire apaise. Écrire accompagne nos fantasmes et nos fantômes. Écrire contrairement à parler -ce qui est dit est dit- autorise à la fin de la page à déchirer le mal écrit. Écrire désarçonne. Écrire nous force à chercher notre assiette. Écrire nous forme. Écrire un roman (de Renart) se fit dans la jubilation du désordre. Écrire c’est toujours lire ailleurs si j’y suis. Écrire c’est maille à partir avec soi-même comme un autre. Écrire c’est faire une enquête de terrain sur l’organisation sociale des peuples sans écriture. Écrire c’est trobar leu-chanter clair et trobar clus– pour les initiés. Écrire c’est chaque nuit en résidence non surveillée dans son lit. Écrire c’est sans écrire en marchant sur des chemins de fortune écoutant des conversations diffusées sur France Culture en podcasts. Écrire c’est la mère des batailles de la langue toujours toujours recommencée. Écrire c’est cette présence qui nous a fait oublier chemin faisant que l’on écrivait.
J’ÉCRIS TOUTES LES NUITS allegro ma non troppo
J’écris toutes les nuits allegro ma non troppo J’écris des écrits noirs de poésie barbouillés d’accrocs de coups de raccrocs et d’hérésie J’écris toutes les nuits sans plan sans idées sans ratures sans projet d’écriture J’écris en parlant comme disait Montaigne au papier J’écris toutes les nuits mais nul miracle n’en sort Fût-il misérable comme disait Michaux Jeteur de Sort J’écris toutes les nuits comme un rituel d’oubli Tantôt sur une carte blanche tantôt sur une grise Sur une carte sanguine une carte bleue comme une orange J’écris toutes les nuits sans rage excessive sans souci d’être ce « performeur » que la foule fanatique applaudit J’écris avec Morphée bercé par Hypnos et Nyx Qui m’accompagnent dans mes paliers ascendants et descendants de mes longues phrases de sommeil J’écris toutes les nuits Zébré d’incertitudes Mais prenant plaisir à ce monde déphasé par les changements de lignes et de mots le croisement des gloses les essais résurgents
J’ÉCRIS EN TRAÇANT DANS L’AIR LA LANGUE DES SIGNES
J’écris en levant les lièvres d’un gîte Où La Fontaine songe : cet animal est triste et la crainte le ronge J’écris en écoutant les quatuors de Beethoven devenu à cette époque sourd, sourd sublime J’écris en traçant dans l’air la langue des signes J’ai l’air d’un idiot (d’un idiot inutile ?) J’écris en posant des questions à mon lecteur futile Fût-il pervers polymorphe ou slameur insigne J’écris sur les nuages qui passent ici Et sur les pavés que se passèrent de main en main les petits gars et les jeunes filles de Mai 68 J’écris sur l’océan qui bouge depuis le premier bain de vagues et de houles avant mes premiers vagissements J’écris sur l’estuaire, exutoire d’un fleuve Qui baigne mon poème mystérieusement