COMME UN GUETTEUR MÉLANCOLIQUE J’OBSERVE LA NUIT ET LA MORT

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COMME UN GUETTEUR MÉLANCOLIQUE J’OBSERVE LA NUIT ET LA MORT

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? –À la fin tu es las de ce monde ancien (n’oublie pas la diérèse de ce bel alexandrin « an-ci-in ».) Nous l’avons récité maintes fois et tu sais bien qu’il s’agit de Zone, le poème liminaire d’Alcools. Tu vois cette nuit j’ai replongé, corps et biens, dans l’œuvre multiple, spontanée et savante de ce diable de Guillaume le dernier empereur de la poésie française. (On enterra Apollinaire deux jour après l’Armistice du 11 novembre 1918, dans la rue tous ses proches et les anonymes qui accompagnaient Guillaume au père Lachaise entendirent comme un dernier trait surréaliste : « À mort Guillaume ! À mort l’Empereur !» c’est du kaiser qu’il s’agissait). Apo humain trop humain qui fit moultes jeux d’amour, sous toutes ses formes, sans oublier la mourre, jeu du nombre illusoire des doigts. Apo ou Gui, comme il signait parfois ses lettres à Lou, fit feu de tout bois, « chef d’un orchestre d’une étendue inouïe ». J’aime à dire que ce fut le dernier d’une longue lignée à qui l’on peut discerner sans rire le titre de « poète ».  Critique et inspirateur de l’art nouveau, des peintres cubistes, du naïf Rousseau et de l’art nègre que l’on dit aujourd’hui « premier ». Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix Trois grands lys poudrés d’or que le vent effarouche. Comme un guetteur mélancolique J’observe la nuit et la mort. Apollinaire

LES JAMAIS RACONTÉS






Les Jamais Racontés, les Swan et les Odette.
Les lectrices et les lecteurs qui passent sur mon blog.
Les Montaigne et les Tchouang Tseu avec qui j’accumule les dettes.
Les cosaques zaporogues, ivrognes, pieux et larrons, aux steppes et au décalogue. 1
Les amoureux fervents et les savants austères. 2
Nerval l’Inconsolé, les Chats de Baudelaire.
Les gens de toute taille qui passent à la télé.
Etc, etc.
Il est temps que de cette liste je me taille.

1 Apollinaire 2 Baudelaire

FEUILLETS ÉCRITS SOUS LA FEUILLÉE





J’ai tant aimé les Arts
Que je suis artilleur

Apollinaire


Je découvre cette nuit (16 janvier 2022) les photos reproduisant les 16 feuillets manuscrits (14x9 cm), sortis de la plume de l’artiste artilleur Apollinaire, assis dans la tranchée entre deux salves de tirs. J’écris accroupi, sur mon genou…sur le sol rempli de vermine.

Du coton dans les oreilles, tel est le titre parodique imaginé 1, souligné de deux traits qui simulent des vagues. 
De même que le nom de Guillaume Apollinaire qui continua à remplir comme un forcené ses petites feuilles de vers rimés avec aussi quelques calligrammes, ce mot-valise qu’il inventa au temps où la mandoline ignorait le bruit du canon

1 Ne mettez plus de coton dans vos oreilles Ça ne vaut plus la peine
 

Quelle merde ! C’est le cas de le dire
Sortie des longs boyaux où tu chemines
Dans ta tranchée en première ligne
Allô la truie Allô latrines
Que l’on appelle ici des « feuillées »1

Je lis et relis sans cesse tes seize feuillets
Que tu écrivis à la plume
Je les dévore assis dans mon plume
Cent trois ans après

Après la balle qui froisse le silence
de ta cagnat 
Que tu as baptisé
Par je ne sais quelle percussion mentale
LES CÉNOBITES TRANQUILLES

Toi sentinelle au long regard
Fondue dans l’œil des Chartreux
Quand Dieu le grand Toto
Les démange


1 Ne prenez pas les feuillées pour autre chose qu’elles ne sont, comme faisaient pas mal d’auteurs avant la guerre.



L’OUBLI DE LA TOUSSAINT

Je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert
Et de bruyère en fleur

Victor Hugo

J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t-en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps Temps de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends

Guillaume Apollinaire


Cette année – allez savoir pourquoi –
J’ai oublié que le 1° novembre était le jour de Toussaint
Je l’ai décalé d’une semaine dans ma tête

Mes morts et ma morte
Ne m’en tiendront cure
Ils savent Elle sait
Que je prends soin d’eux
Et d’Elle chaque jour

Ils sont patients
Elle m’attend









VERS À REBOURS soumis aux aléas

à rebours




À rebours… mes vers boustrophédonnent

ce va et vient que trace mon stylo

et qui met à jour le vert du vocabulaire

que quelques oiseaux bergeronnettes

– encore nommés hochequeues –

viennent picorer





À rebours…ce roman dont le héros

déballe sa bibliothèque à l’esthétique

décadente…Amours jaunes

de Jean des Esseintes…reclus

à Fontenay-aux-Roses





À rebours…n’en jetons plus

Reprenons joyeux rires de la vie

Amarcord…io mi ricordo..

Je me souviens de Magali Noël

tenant le rôle de la Gradisca…

en Rouge et noir

soumise aux aléas





À rebours…de ce charabia

Je me promène en ce lieu rare

Où les fleurs de ma rhétorique

Sont neiges de printemps..

Flocons d’argent d’Apollinaire

Et que n’ai-je son gai savoir…





hypnographies 5/8