UN LIVRE SAVON

Ce livre entre les mains m’échappe absolument

Me glisse entre les doigts tel le savon de Ponge

Silence sur la page je ne vois plus les mots

C’est de la bouillie pour les chats et les chiots

Une sorte de lave qui ma cervelle ronge

Un coup porté à Teste de monsieur Valéry

Cultivant l’art des restes et des amphigouris

(le reste dans la marge est hélas illisible)

JE ME PERDS DANS MA PAGE

JE ME PERDS DANS LA PAGE des partis pris de Ponge de l’huître au gosier de nacre et de son obsession pour la tiare bâtarde Je me perds dans Michaux Cloué au lit par une méchante fracture me voilà inventant toute une cavalerie qui passe après la bataille Je me perds dans l’ange sombre de la Melancholia d’Albert Dürer mélas : noir kholè : bile Obscurités non obscures Je me perds dans l’éternité retrouvée la mer allée avec le soleil le pavé disjoint de la cour de l’hôtel de Guermantes Je me perds pour mieux me retrouver dans les pages de Ponge faisant face avec Michaux à ce qui se dérobe le soleil noir de la mélancolie l’éternité de Rimbaud la vocation révélée au narrateur de la Recherche

je me perds dans cette autre page signée : « le Banni de Liesse »

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

SONNET SANS DIEU NI MAÎTRE





À Jean-Louis Rambour un maître en la matière

Lisez ses 24 sonnets publiés dans son roman

Le cocher poète, Éditions L’Herbe qui tremble.





Chaque être s’enchevêtre, de lui-même incompris.

Il n’a ni Dieu, ni Maître, mais rêve d’infini.

Il forme le dessein de lutter pied à pied,

Mais la raison l’égare et la rime le fuit.





C’est le texte qui crée sa propre rhétorique,

Lisait-on dans les temps des odes inachevées,

De la chèvre à la boue, du lézard à la barque*,

On patauge dans les choses de pays ignorés.





Modernes anti modernes, nos obscures lumières

Bricolent et houspillent les vieilles vieilleries.

Sous douze pieds de vers comme des mouches vertes,





Partout dans l’Univers des atomes obliques

Engendrent tous ces signes qui nous rêvent éternels.

Chaque être se libère de ses mimologies.





*Francis Ponge





« Merci, Jean-Jacques, pour ce sonnet. Pour ce pied de nez (respectueux) aux vieilles vieilleries.

Je me souviendrai de lobliquité des atomes et de la libération de nos mimologies.

La rime ta fui ? Cest normal. Sans Dieu ni Maître, le sonnet ne peut plus être ce quil a été ».

Jean-Louis Rambour

sonnet sans dieu ni maître


	

JE DIRAI QU’UN POÈME EST LE BON TEMPS DE LA VIE





Je dirai qu’un poème me donne des raisons de passer du bon temps

Je dirai que ces raisons n’ont rien à voir

avec l’idéologie patheuse

(du mot pathos)





Je dirai qu’un poème me donne l’occasion de régler mes mots

compte tenu des choses

sans rien céder à la suie des paroles

aux expressions toutes faites des informes mollusques :

les gens qui parlent à tort et à travers





Je dirai qu’un poème se construit dans le corps

Dans l’être obscur qu’il s’agit par essais successifs

De mettre à jour





Je dirai qu’un poème n’est jamais acquis





Je dirai qu’un poème écrit, donné à voir,

Pour chaque lecteur, est différent

L’un s’y reconnaît en partie

Et ça l’apaise

L’autre le repousse, mais le lit

Et ça le tracasse





Je dirai qu’un poème est fait pour être réécrit





Italiques Francis Ponge

je dirai qu’un poème me donne des raisons de passer du bon temps

PHILIPPE JACCOTET (N)’EST (PAS) MORT

« Ah! si les fleurs n’étaient que belles!« 
photo de mon jardin des Martigues
prise après l'annonce de la mort de Philippe Jaccottet
ce  24 février 2021
rue de la Glacière dans sa maison de Grignan
à l'âge de nonante cinq ans




Philippe Jaccottet, le poète niché avant sa mort dans une des Pléiades, m’a fait le plaisir d’échanger quelques « présents », lettres et cartes postales, à propos, tout d’abord, d’un lieu unique, nous tenant tous deux à cœur : le site archéologique de Saint Blaise. Lui, dans quatre pages lumineuses, commençant par « Je me souviens aussi de Saint-Blaise (un site grec au nord des Martigues), (in Paysages avec figures absentes 1970) commettant, mais avec bonheur, l’erreur de Colomb, croyant avoir atteint les Indes, moi, dans un recueil, plus que confidentiel, intitulé L’oppidum sans nom 2010 (Encres Vives Collection Lieux), Le site en réalité est un vaste oppidum gaulois (VI°-II°S av. JC), paré d’un rempart grec, dans sa dernière période.

Nous nous sommes ensuite rencontrés, une fois, une seule, à propos d’une exposition des aquarelles d’Anne Marie, son épouse.  

Deux citations.

La première conteste la posture du « poète », de son ami André du Bouchet, proche de sa disparition, (mais paraît le regretter.)

La lettre d’Anne de Staël à propos de la santé d’André (du Bouchet) : le corps réel d’un poète est le corps des mots» – je n’ai jamais cru cela, et c’est probablement ma faiblesse, mon tort. (La seconde semaison)

La seconde évoque ce pilote d’une barque (« la barque », un poème essentiel de Francis Ponge qu’il fréquenta*), assimilé  à son travail « d’écrivain » :

Je compare mon travail d’écrivain à celui qui pilote une barque sur une rivière; la laisser couler,  la laisser prendre le courant mais en même temps utiliser les rames ou un gouvernail pour qu’elle n’aille pas s’enliser dans les bords. Je crois que la forme de travail pour moi ç’a été cela.

Et pour le reste, longue vie aux lecteurs de Philippe Jaccottet, tous ceux et celles, qui goûtent encore, et « malgré tout », « ce peu de bruit » qui fait l’essence, plus que jamais, des poésies.





*un ouvrage, trop peu lu, en fait son miel : Le printemps du temps : Poétiques croisées de Francis Ponge et Philippe Jaccottet. Michèle Monte et André Bellatorre (Textuelles 2008)

"le poète n'a pas de place...
il maintient (cependant) un espace respirable
dans un monde qui l'est de moins en moins"
Philippe Jaccottet