PLUME (plumplum tralala)

PLUME

Pendant que les gens dorment, ou essaient de dormir, je remue ma plume en tous sens. C’est comme une longue maladie après laquelle on trépasse. Mais on ne dit plus ainsi, le verbe « trépasser » semble désormais faire peur à ces mortels que l’on qualifiait au temps des dieux d’ « heureux ».

J’écris sans dire mot, je mets à la voile, je cingle ou prends un ris.

J’écris Balbec, ce nom magique inventé pour cause de Recherche des lieux perdus. J’écris il n’est bon bec que de Paris et de cette écriture qui naît en l’absence de lecteurs de bonne foy. Non le poète de Douve basse, mais l’écrivain des Essais qui ajouta à Michel son prénom, le nom de sa demeure de Montaigne.

Et non Montagne du Perche où naquit Émile Chartier, fils de vétérinaire, dont le nom de plume fut Alain.

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SUR NOS TEMPES PASSE LE TEMPS

fatras & fatrasies (une erreur de manip)
sur nos tempes passe la voix qui vient d’une personne qui n’existe pas

Sur nos tempes passe le temps et la nue, la nuit où, terminant mon texte manuscrit, je l’écris étendu, non dans l’herbe, mais (banalement) dans mon lit où, tout en traçant par intermittences les lettres, simultanément, je les lis.

Sur nos tempes passe le temps et sa lie, le temps mauvais des crimes de guerre, actuellement commis par un autocrate au cerveau pourri, au nom de la Sainte Russie.

Les deux trois rouges au côté droit d’un dormeur du val, jeune, tête nue, tranquille, se sont convertis en des corps déchiquetés, explosés collectivement dans des théâtres, des gares, des supermarchés et aussi, quand le missile aveugle détruit les immeubles, en de pauvres corps d’enfants serrant leurs doudous ensanglantés.

Sur mes tempes où ce que j’écris là, a quelque chose de funèbre, dans des décors noirs et rouges comme ceux de l’ancien Dieu Pan Creator.

Écrire pourquoi, si ce n’est pour ce déchirant appel à l’écriture d’un livre, heurté, troué d’éclairs, en vertu de la loi inévitable, qui veut que qu’on ne puisse imaginer que ce qui est absent.

« Plume en l’absence » et vocation d’un être proustien appréhendant, après tant de temps perdu, un peu de temps à l’état pur.

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DE L’ATELIER INVENTIF À LA PLUME EN L’ABSENCE

Nada se edifica sobre la piedra, todo sobre la arena, pero nuestro deber es edificar como si fuera piedra la arena…Borges

On ne bâtit rien sur la pierre, tout se fait sur le sable, mais notre devoir est de construire comme si le sable était la pierre…

Mon atelier n’est pas réduit à une pièce particulière, mais ouvert à tout vent. L’atelier je m’y attelle, je m’y lance, de coups de dés en coups de hasards, je m’y livre, m’y aboute, m’y accroche, m’y occupe, m’y attache, m’y astreint, m’y amuse.

Ô Muse conte-moi l’aventure de l’atelier inventif 1

L’atelier des jeux et des rimes, celui du sable sous les pavés, l’atelier des poèmes élastiques, l’atelier du papier à grain de folie et celui de ce poète dépourvu, 2sans ressource, sans audience ni reconnaissance, mais qui persiste, persévère, maniant à qui mieux mieux, sa plume privée pour des lettres envoyées à ses dernier.e.s ami.e.s, dispersé.e.s dans le monde entier, « en absence »3

1 pastiche du premier vers de l’Odyssée traduit par Philippe Jaccottet 2 figure (topos) des poètes de la Renaissance 3 LA PLUME EN L’ABSENCE le devenir familier de l’épître en vers dans les recueils imprimés de poésie française (1527-1555) PAULINE DORIO (Droz 2020)

TOURNER EN ROND

Je tourne en rond
Les pensées droites ou carrées
M’excuseront

Je tourne mandala
Ah ! la la
Ah ! le halo
De la lune ensoleillée
Entourant les souffrances
De la pauvre humanité

Je tourne dans la prison
De ce pauvre Guillaume
Qui se promène comme un ours
Dans une fosse de la Santé

Je tourne
Sur les bons chevaux de bois
Je suis l’enfant tout rouge
Qui a perdu sans le savoir
L’espoir de vivre libre
Dans la rumeur du soir

J’écris tournant ma plume
Dans la chair blanche d’une page
Cachée sous les pavés


CETTE LANGUE ÉCRITE





Cette langue écrite qui tamise, raffine, épure…
Nathalie Sarraute Les fruits d’or


Cette langue écrite qui se fraie (ou se fraye) un chemin de traverse dans le maquis du langage qui nous étouffe

Cette langue mon dieu auquel je ne crois qui dévie et jubile avec sa plume qui parle sans barguigner au papier

Cette langue écrite destinée aux lecteurs et lectrices solitaires qui la prolongent dans leur tête ou la recopient sur leurs carnets secrets

Cette langue miroir tendu par l’écrit sur cet écran qui incite les lecteurs et lectrices de passage à devenir les lecteurs d’eux-mêmes*


*Paul Ricœur