ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT ?
-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Chut, c’est déjà 4h44 et je commence à peine à fendre les flots. Je me réveille d’un rêve idiot où avec une foule indistincte je devais faire une traversée du désert, quand je m’apercevais que j’avais oublié mes lunettes de soleil. Il ne me restait plus qu’à attendre le clair de la lune. -Mon ami Pierrot ! -Non, Pierrot mon ami, plutôt. – Késako ? -Ah ! je vois que tu ne connais pas le père Queneau. -Mais si. S’il s’agit de Raymond un professeur de quatrième m’a fait lire et inventer à mon tour ses Exercices de Style. -Parfaitement, il a écrit 99 fois la même histoire, celle d’un type, d’un mec, d’un gonze, d’un monsieur quoi, qui aperçoit dans un bus un homme coiffé d’un chapeau qui se dispute avec son voisin. -Et à la fin, si je me souviens bien, le narrateur (j’ai appris la notion à ce moment-là), revois son bonhomme à la gare Saint Lazare, en présence d’un autre gus qui lui fait une remarque sur le bouton de son pardessus. – Exact. Il ne restait plus qu’à Raymond l’ami des exercices de style que de lister et d’employer ces figures dont certaines nécessitent l’emploi d’un dictionnaire spécialisé (les litotes et autres synchyses, homéotéleutes, paréchèses…) -Nous on s’était contenté d’exercices plus simples comme l’emploi du présent, ou du passé simple ou composé, et aussi des fantaisistes écritures en javanais, en java à trois temps ou jazz syncopé. -Oui, sans oublier l’arc-en-ciel, semblable au sonnet des voyelles ou le philosophique à tendance phénoménologique. -Un phénomène ce Queneau, mais tu ne m’as toujours rien dit de Pierrot mon ami. -Hélas comme tu peux le constater ma carte est pleine et mon exercice est terminé. 23/04/2023
Complément 1 : ce qu’en disait Queneau à un Ribemont-Dessaignes
Les Exercices de Style : je suis parti d’un incident réel, et je l’ai raconté d’abord douze fois de façon différente, puis un an plus tard j’en ai refait douze autres, et finalement il y en a eu quatre-vingt-dix-neuf. On a voulu voir là une tentative de démolition de la littérature, ce n’était pas du tout mes intentions, en tout cas mon intention n’était vraiment que de faire des exercices, le résultat c’est peut-être de décaper la littérature de ses rouilles diverses, de ses croûtes. Si j’avais pu contribuer un peu à cela, j’en serais bien fier, surtout si je l’ai fait sans ennuyer trop le lecteur.
Complément 2 : une variation mienne cette même nuit du 23 avril 2023
Dans l’X à une heure d’influence de Vénus, une fille d’avril, charmante et sans fil, lit un roman rose qui commence place de la Contrescarpe à Paris. Son héroïne est amoureuse, mais au début on ne sait pas de qui. En tout cas, pas du damoiseau assis à ses côtés et qui essaie, en vain, d’attirer son attention en récitant des fables de La Fontaine. À fin du trajet, n’y tenant plus, la jeune fille d’avril, le regarde droit dans les yeux et lui lance -Et Butor, vous l’avez lu !