AÑORANZAS PORTEÑAS

J’AI VU LA PAMPA Non au petit trot du cheval de Jules Supervielle Mais du haut d’une avioneta qui tanguait dangereusement J’ai connu la bise du 14 juillet 1970 qui s’engouffrait dans les rues de Buenos Aires J’ai parlé le lunfardo des porteños avec une compañera rencontrée dans un bar de la rue Sierpes (le livre de Borges sur l’argot de la capitale sous les yeux) Vous pouvez en douter Vous qui me lisez dans les villes de l’Europe sans gauchos montant à cru Jurant à lasso raccourci Dans le coral de l’estancia disparue proche du mot saudade,(vague à l’âme, nostalgie), le mot añoranza est impossible à traduire

ÂMES PERDUES CROISÉES SUR LE PAPIER

ÂMES PERDUES De tous les lieux propices à la rencontre avec nos âmes perdues le livre conserve toutes mes faveurs Le livre et ce cahier sur lequel je prolonge mes rencontres de lectures inopinées :  sur un banc de Genève entre le vieux et le jeune Borges, le café de mon adolescence où dans un nuage de fumée de tabac gris je faisais le concours de belote du samedi avec le cantonnier du village pour partenaire, les croisements d’existences et de rues, Martin Luther King Boulevard et Malcom X Bd, opposés dans les moyens de lutte, réunis dans leurs tragiques assassinats. Âmes perdues et retrouvées, dans ces esquisses de rencontres et de portraits croisés…sur le papier.

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Onirodessin du dimanche 6 décembre 1971 jean jacques dorio

INSOMNIE LA BIENHEUREUSE

Insomnie la bienheureuse qui me permet décrire, de conter fleurette à mon papier blanc comme la nuit, dalterner mes lectures dune page de la Pléiade, comparée à loriginale éclairant ma tablette de cette langue castillane que no sé manejar, (que je ne sais pas manier) dit faussement lauteur de Dos formas del insomnio.

Insomnie féminine pour nous Français, mais insomnio, demonio, un démon pour ceux qui luttent contre, (Borges, puisque vous laviez deviné il sagit de lui), en fait la liste : « compter au cœur de la nuit les coups de cloches fatidiques, tenter de contrôler sa respiration, tourner et retourner sur son oreiller, et surtout saberse culpable de velar cuando los otros duermen (se sentir coupable de veiller pendant que dorment les autres).

Tout le contraire dInsomnie la bienheureuse, celle qui sous son influence nous permet de déployer nos ailes de Phénix rebelle, en toute innocence.

Cette nuit je réentends leau qui sécoule des fontaines de lAlhambra, les rumeurs du patio de los Naranjos et de celui des Lions, et les couplets qui me redisent la fuite de Grenade en 1492 du rey chico, ce dernier petit roi du nom de Boadbil et que lépoque hypermachiste accusa de « pleurer comme une femme son royaume quil navait su défendre comme un homme ».

Insomnie à présent écrit son épilogue, mais sa page au fur et à mesure se déchire inexplicablement. Une dernière métaphore complétée par cette image de Jorge Luis : dans la vaine nuit Celle qui compte les syllabes ».  

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CET HOMME-LÀ

AQUÉL

Avec cet homme-là que jai repris comme livre de chevet je veux dire ses « œuvres » (un mot dont lui qui entra de son vivant dans la Pléiade, se défiait) il nest pas simple de faire, (en le lisant), des reprises de feu (en écrivant), tant il perd son lecteur dans des vers « voués à linutile », avec sa manie dagencer ( fût-ce en hendécasyllabes, son vers fétiche), « oubli des dates et des noms », « souvenirs en lambeaux », et ses postures d « homme de verre », (selon un de ses traducteurs) : celui qui fatigue ses miroirs dimages sur images, et à lopposé, dhomme de carne y hueso (en chair et en os) selon lexpression du philosophe du « sentiment tragique de la vie », son aîné de la génération précédente (25 années les séparaient).

Mais, en même temps, pourvu que lon oublie qui on est et le nom de qui on lit, cet homme-là, est une ressource infinie, pour ceux qui sadonnent au goût baroque des « simples miscellanées » (qui en savent plus long que quiconque), analectes et mélanges, citations inventées ou dûment répertoriées, diversions jouissives dans des Encyclopédies que personne plus ne lit.

Cet homme-là ? Peut-être moi, sûrement toi, si tu tes reconnu.e dans ce texte inexistant mais qui te résiste, qui te donne envie de le retisser, de recoudre ses souvenirs en lambeaux, de retrouver dates et noms, et surtout de dire adieu au genre « exclusivement masculin », dont abusa, sans paraître sen rendre compte, cet écrivain à qui « les dieux donnèrent un corpsqui neut pas de fils ».1

  1. Oh días consagrados al inútil empeño de olvidar la biografía de un poeta menor del hemisferio austral, a quien los hados o los astros dieron un cuerpo que no déjà un hijo

Ô tous ces jours voués à linutile effort doublier la biographie dun poète mineur de lhémisphère austral, à qui le destin ou les astres donnèrent un corps qui n’eut pas de fils

 (ma traduction.) J’ai transformé « la manie des hendécasyllabes » de ce poète majeur (qui confondait à dessein  « majeur » et « mineur ») , en prose poétique, disposée, comme il se doit, horizontalement.

Borges (Aquél) un poème du recueil La Cifra (Le chiffre) publié en 1981 La traduction du titre transformant « Celui-là » en « Cet homme-là » est dûe à Claude Esteban (1935-2006)

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NOS NILS NOIENT NOS NUITS NÉES NEIGES

NOS NILS NOIENT NOS NUITS NÉES NEIGES

Sans cap mais sans trêve je vogue vers lIslande des livres qui, la nuit, remarque Borges, est comme une voûte entre la veille et le sommeil.

Sans cap mais sans trêve, chaque « journuit » faisant fête aux réminiscences et jeux de langages tel ce tautogramme inventé, dit-on, par Robert (le diable) Desnos : Nos Nils noient nos nuits nées neiges.

Et que nai-je vingt vies qui se fondent simultanément dans cette isle-lande façonnée par des matelots, bateliers, pasteurs sans dieux, bouchers, boulangers, aèdes de maintes Odyssées, romanichels, romanciers, chevaliers shakespeariens, croisant lépée et linvective, forgerons, « livreur » (quenfant Gaston Puel prenait pour un « faiseur de livres »), chercheurs des temps perdus, dormeurs du val et de lamont, emmerdeurs à lespoir jamais rassasié.

Le jeu se termine à présent par léchange des anneaux, dor et dargent, divoire et de lune. Un jeu nécessaire pour que dans lavenir subsistât cet échange qui à tout prix doit demeurer ; dans le trouble et la sérénité, la non-assurance et la confiance de deux personnes « en absence », qui, à distance croisent leurs lignes et leurs esquisses, pour en lisant, en écrivant, savourer leur vulnérable et féconde proximité.

Gaston Puel (1924-2013) Le journal dun livreur Editions lArrière Pays (1997) Pauline Dorio (née en 1986) La plume en labsence (Le devenir familier de lépître en vers de 1527 à 1555) Editions Droz 2020

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