-Mais quel est ton secret ? – Je n’ai pas de secret, sauf celui de refuser de me prendre pour quelqu’un qui chaque nuit écrit ses secrets.
« Défendez-moi de moi » ai-je lu, peut-être chez Montaigne, sûrement (en traduction) chez quelque autre auteur de conséquence écrivant dans la langue de Cervantes.
Celui qui écrit sur la mémoire, le temps, l’oubli, la répétition, le mouvement, la nostalgie du présent, je fais comme si je ne le connaissais pas personnellement, comme si j’ignorais ce qu’il avait déjà écrit sur ses cahiers, petites cartes blanches ou colorées, et même, ça peut arriver, sur un livre affublé d’un nom d’auteur, pour la commodité.
Bref, toute image renvoyée par les autres, ne rencontre jamais mon assentiment, ou plutôt, vous l’aurez peut-être compris, je les prends toutes pour argent comptant. Tous ces registres, tous ces costumes, tous ces personnages représentés par un seul acteur, une seule actrice (je songe à Isabelle Huppert, un modèle en ce domaine), tout ce mixte, ce kaléidoscope, cette machine à produire mille visages…
-Alors, la prouesse est à tous ! conclut avec malice mon questionneur de secrets. – La prouesse c’est l’allégresse de remettre une pièce dans la machine littéraire de nos désirs inassouvis.
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