J’OUVRE UN LIVRE

J’OUVRE UN LIVRE pour y piquer quelques lignes pour m’y perdre pour y laisser intactes ses alouettes vers l’infini et Orphée au paradis J’ouvre un livre un serpent y dormait un sonnet y tournait remuant ciel et terre de la pampa argentine J’ouvre un livre à vrai dire c’est ma vie unique à vrai dire c’est la prochaine citation le rendez-vous elliptique : c’en est fini de venir au secours des images d’hier J’ouvre un livre douleurs de l’amour doux heurts petits secrets d’abord crus puis étouffés J’ouvre un livre blanc c’est mon autoportrait ce jeudi onze mai de l’an deux mille vingt-trois J’ouvre un livre où méditent les approches approximatives d’un enfant d’un homme d’une femme d’un kiosque où les miroirs du numérique ont remplacé le papier journal J’ouvre un livre embrouillé de pages de lignes et de propos : il y a énormément d’étoiles peut-être trop J’ouvre un livre écumeux salé vagabond bruissant tournoyant navigable indigné inconstant soucieux pacifique dérobé J’ouvre un livre apparemment réel apparemment rêvé celui de ma vie unique longtemps confondue avec celle des autres Un livre de sable de calcaire et de battements d’Elle mon Alice qui dort depuis mille ans entre ses pages vierges

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

SUR CE MAGNIFIQUE PAPIER


Sur ce magnifique papier
Je vais essayer d’écrire un poème
J’espère fermement y arriver
Sur ce magnifique papier

Un poème aux cent sujets
La terre le ciel les plantes la tombe
Le cheval l’oiseau l’animal humain
Un poème aux cent sujets

Un poème sans moi-je
Que je dise Je que j’écrive Moi
Ce n’est qu’un jeu de pronoms sans personne
Un poème sans moi-je

Personne persona un masque
Pour jouer sur scène la comédie
Faire rire et pleurer et s’en aller
Sur ce magnifique papier

Martigues 17/03/2023

récitation : « sur ce magnifique papier »

PASSAGE D’UNE HEURE SUR LE PAPIER Souvenir d’un libre-senteur Éloge de l’inachevé

Six heures quinze
J’ouvre un œil
Un jour nouveau
À négocier

J’ouvre mon blog
Un lecteur d’Haïti
A lu (c’est étonnant)
Patatratement

Il fait être un poète
Un rien désuet
Pour aligner des vers
Patatratrement
(Une autocitation)

On ne prête qu’aux pauvres
Ces riens sonores
Qu’affectionnaient
Les décadents
Artistes des faubourgs
Albatros déplumés
Ou bien Libres-Senteurs
Comme écrivit Henri
Ce cher Heurtebise 1
Qui « n’est plus »
Depuis le 7 janvier
Au matin
comme m'en informe en ligne
Claude Vercey sur le site de  la revue de poésie Décharge

(J’attends toutefois
Celui avec qui j’eus 
Une longue correspondance
Sa lettre de confirmation)


Six heures vingt-six
(en temps réel)
Je poursuis ce langage
Sur papier
Qui m’échappe à demi
Un mot chassant l’autre
Ou au contraire qui va s’étoilant
De quelques braises inattendues

Six heures trente-six
Merci de patienter
La suite du texte
Tarde à se télécharger
J’ai bien peur
(six heures quarante-six)
Qu’il disparaisse ainsi
Dans le paysage

Mais quelque part aussi
Ça me soulage
Moi qui à la fin
De tous mes poèmes
Et sans barguigner
Écrit le mot 
Inachevé

1 Henri Heurtebise (14 février 1936-7 janvier 2023)

25 janvier 2023 (de 6h15 à 7h15)
Une heure de doux patatras

TU DEVRAIS ARRÊTER D’ÉCRIRE DES FADAISES

Tu devrais arrêter d’écrire des fadaises
Qui ne parlent qu’au papier
Laisser tes mots errer
Sur la falaise de sable
Sur le buvard de l’encrier

Tu devrais ignorer Giono
Qui écrivit comme si de rien n’était
Avec sa main à plume le jour où sa mère mourut

Quand on t’annonça la disparition subite de la tienne
Le vingt-sept septembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze
Tu lisais précisément Le hussard sur le toit

Elle avait passé une mauvaise nuit
Mais s’était habillée pour voir encore une fois
Le feu du matin jaillir du bois
Sur la plaque de fonte
Sur le visage de mon père

Tu devrais arrêter d’écrire des fadaises
Qui ne parlent qu’au papier
Laisser tes morts errer