DIX-SEPT LIGNES CONFIÉES AU SOMMEIL


Confiés au sommeil
Ces mots et lignes
Les derniers d’une nuit
Où j’ai lu Proust, Vigny,
Et Madame de Staël
(Germaine)

C’est à moi maintenant
De poser les pensées
D’un sentimental
Temps à l’arrêt
Cosa mentale
À la lisière de mes fantaisies
Et du nonsense

Mes yeux se ferment
Le stylo tombe
Il est l’heure d’éteindre
Ma calbombe



J’ÉCRIS opus 14





J’écris au chant du coq cette lamentation 
Paroles d’un charretier
Dans le va-et-vient
D’une cancion protesta
Des années 30

J’écris entre les lignes
Ce qui semble n’avoir ni queue ni tête
Sur des bouts de papier,
des carnets,
sur le journal Le Monde
qui égrène ses libres opinions
après ses (mauvaises) nouvelles

J’écris comme à présent
en écoutant le petit bruit
que fait le stylo feutre
sur ma page en carton
posée sur un gros livre

J’écris tout étonné
que l’écriture se soit enclenchée
après un bon quart d’heure de feuille blanche

J’écris dès lors comme l’on emboîte 
ou désemboîte
des poupées gigognes 

J’écris si j’en crois Artaud le Momo
Comme un cochon
(toute l’écriture, écrit-il, est une cochonnerie)

J’écris comme hier écrivait Paul Fort à sa Thérèse :
Garde tes dindons moi mes porcs Thérèse
Ne repousse du pied mes petits cochons

J’écris à Saint-Jean-Pied-de- Port
Au pied du col de Roncevaux
Où Roland le Preux perdit son épée
L’épée grince mais ne s’ébrèche ni se brise

J’écris tout étonné de découvrir dans le pommeau de Durandal
Une dent de Saint Pierre
Du sang de Saint Basile
Du vêtement de Sainte Marie…
et un raton laveur

J’écris avec Saint Prévert confondant
Des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer

J’écris comme un ébéniste dans son atelier :
je scie, je rabote, j’assemble, je colle, je plaque, je râcle, je ponce, je vernis, je cire…
Tout ce fatras d’écriture
Qui tombe dans l’oreille des sourds (Rien à cirer !)
Ou dans celles d’aimables complices
(qui applaudissent dans la coulisse)










POÉSIE en lignes courtes longues à écrire

la poésie est aspiration
la satisfaction la tue

Pierre Reverdy




– Lignes courtes, longues à écrire…et invendables !

Mais pourquoi t’obstines-tu que diable !





– Mais pour mille raisons Gaston





Pour l’écart entre les mots et les choses

Pour la musique avant toute chose

Pour compte tenu des mots, le parti pris des choses

Pour mettre en fureur Machin et Chose

Pour le Capital Poésie dont les voix et les livres

ont la précarité des choses frivoles                                                                            

futiles utiles et vaines

précieuses et folles





– La chose est entendue

Mais ce qui me chiffonne

C’est que ta cause soit irrémédiablement perdue !





– Perdu pour perdu je signe et je persiste

à chercher l’or du temps

en ces lignes courtes

longues à écrire

ou nageant de page en page

je puis, chemin faisant,

me débarrasser de mes idées

qui passent et repassent





Toujours en mouvement

Et dans l’émotion

Qui font l’essence de la poésie

ENTRE DEUX LIGNES

une voix entre deux lignes




Je fais le tour de mes pages d’écriture

                                                                  au ralenti

                                                                                          et en silence





Entre deux lignes plusieurs minutes

s’écoulent

Comme celles d’un procès

                       en procrastination





Et combien d’entre elles passent

          à la trappe !

Par exemple, curiosité de l’instant,

cette lune à la fenêtre,

dont je ne sais que faire

où la placer sur le papier





Entre deux lignes, c’est le cas de le dire,

Je n’ai aucune ligne préétablie

Aucune ligne à suivre





Mais quand soudain passent les Djinns

« Mur ville et port »

La page entre deux plages de petits sommes

est terminée…

Je m’endors






	

JE SUIS ET NE SUIS PAS


JE (multiple et singulier)
variation 3






Les formes de ma vie sont ainsi entrées les unes dans les autres.

Chateaubriand





Je suis et ne suis pas

Ces signes sur la page

L’instant ouvert au monde

Ce va-et-vient de mer

Dans la rumeur des vagues

Et le murmur des mots

Que l’on dit fondateurs

Tous proches du silence

Dans le Secret des Marges





Je suis et ne suis pas

Cet océan qui flotte

Les sphinx volants des rêves

Le bouclier d’Orion

Le bon alexandrin

Coupé en deux fleurant

Le son d’un parchemin

Les  rimes de Verlaine

Et d’Hugo réunis





Je suis et ne suis pas

Un pantoum négligé

Les formes sur la feuille

Qui nous métamorphosent

Les îles ignorées

De l’ode et de l’épître

Les pavés sous la plage

Dans le beau mois de mai





Je suis et ne suis pas

Ni moi-même ni un autre

À la fin de la pièce

Comme un dernier baiser





Italiques Hugo, Verlaine

Secret des Marges

JJ DORIO

Ed Rafael de Surtis (2011)