ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT 7 L’infracassable noyau de nuit

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L’INFRACASSABLE NOYAU DE NUIT

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Cette nuit j’ai été englouti par le sombre océan. -Alors ? -Alors je n’ai rien écrit. C’est donc matin nouveau que je t’écris. -Merci de ne pas me bercer d’illusions. -Cependant je t’avoue dans la même veine que je n’ai pas encore ouvert mes volets (un rituel) et que par conséquent je n’ai pas encore donné le premier coup d’œil sur mon jardin et sur la mer, là-bas, là-bas, que j’ai la chance d’apercevoir avec ses lourds bateaux destinés au complexe pétrochimique, mais aussi la vision du fort ancien qui veillait naguère sur l’entrée de la passe maritime. -En quelque sorte tu essaies ainsi de prolonger la nuit. -J’essaie. La nuit et ses métamorphoses, le silence intérieur confronté au murmure d’un monde inédit. Le défi de casser cet infracassable noyau de nuit, mis en exergue par André Breton, à propos du seul Bien prôné par les Surréalistes : « la victoire de l’amour admirable sur la vie sordide ». -Oui, j’ai lu quelque part que sur ce plan au moins Breton prétendait « n’avoir jamais repris la mise. » -Celle en effet de l’amour réciproque, célébré dans le dernier numéro de Révolution, la revue Surréaliste. -Et contesté aussitôt par l’érotisme noir de Georges Bataille. -Oui, mais ceci, comme tu le sais, est une autre histoire.

LE LAPS DES ANS NOUS A PARU D’ÉTERNITÉ

898 AU CREUX DE LA NUIT Ocre océan Où les voix des poèmes Ondulent En lettres blanches Sur fond noir Avec les dés Qui sonnent dans nos têtes Les Correspondances Des sons et des sens Et le grand écart de l’Unité Futur : Erreur d’éternité  Michel Leiris

899 LE CARNET SE TERMINE Face à la feuille de papier kraft – mer en deuil sur laquelle je flotte – Il y a la couverture de plastique noir C’est le carnet quatrième Qui désormais va tel un crabe Être épinglé Sur la planche haute de ma bibliothèque Au détour des nuits Le carnet cinquième – ni tout à fait le même ni tout à fait un autre – S’ouvre sur ce vers inspiré Par le poète du Tout-Monde Le laps des ans nous a paru d’éternité. Edouard Glissant 06 octobre 2015  Carnet des nuits IV du  11 août 2015 page 405 au 06 octobre 2015 page 571

900 LE LAPS DES ANS NOUS A PARU D’ÉTERNITÉ Edouard Glissant Lapant le lait des Chats sauvages Pinçant les cordes d’Apache sur une guitare branchée sur la fée Électricité Une à une nous avons pendu les vieilles araires au clou Elles geignent au vent d’autan Le Progrès depuis belle lurette a fermé son étable sur le dernier des paysans L’éternité danse le rock and blues

UN TEXTE PAR TROP NÉGLIGÉ

UN TEXTE DE NUIT PAR TROP NÉGLIGÉ Réveil de nuit Plutôt que de gamberger dans le noir absolu Je prends la plume sous ma lampe de chevet Pour aller où elle me guidera Même si parfois je ne sais plus où je vais J’erre sur l’aire d’une surface blanche Pour un peu je badauderai en me faisant clown pour l’amour d’une écuyère du cirque Médrano Voilà je range plume et cahier J’éteins les feux et je réfléchis dans la nuit retrouvée comment je pourrais transfigurer en un poème ce texte par trop négligé

J’OUBLIE QUI JE SUIS

J’OUBLIE QUI JE SUIS J’ai dit adieu à toutes les nuits où j’ai dit dans ton lit Petit esprit Please Oublie qui je suis Arno (1949-2022) J’oublie qui je suis Façon d’écrire Manière de lancer la fabrique de ce texte dont j’ignorais qu’il avait fait l’objet des paroles de ce chanteur qui vient de disparaître (comme on dit) Arno c’était pour moi, avant que l’écran ne me donne l’info, exclusivement ce petit fleuve qui traverse Firenze et passe sous le ponte vecchio On voit un extraordinaire dessin de Leonard, qui fut appelé par les florentins pour un projet de dérivation, intitulé « Placement du fleuve Arno dans un canal » ou bien aussi on peut lire dans une lettre de Machiavel « allé à Pise avec Leonard de Vinci niveler le fleuve Arno et le déplacer de son lit » Les travaux commencèrent mais l’Arno ne voulut pas sortir de son lit Grands esprits Please Oubliez qui je suis

Placement du fleuve Arno dans un canal : Leonardo da Vinci

NUITS INVENTIVES

IL EST DES NUITS PLUS INVENTIVES QUE D’AUTRES Allez savoir pourquoi C’est comme des voix intérieures qui prennent l’accent de tel ou tel comédien (cette nuit celle de Roger Blin qui dialogue avec Delphine Seyrig, la comédienne) Il est des nuits où mon encre à micro-pigments résistant à l’eau court la page dorée avec le stylo pointe fine qui a la qualité de l’archive, C’est comme une fugue radiophonique enregistrée le 5 mai 1966 et diffusée trois jours après Tu seras seul au monde avec ta voix Il n’y aura au monde d’autre voix que la tienne * C’est comme la voix que je lançais au printemps 1978 du haut du théâtre d’Épidaure La voix qui descendait vers toi mon amoureuse qui me faisait de grands gestes au centre de la scène Toi dont le cœur n’est plus que cendres et qui aurait tant aimé partager le secret de cette nuit trop inventive * Voix de Delphine Seyrig jouant Ada dans Cendres de Samuel Beckett