ENTRE LE CORPS ET L’ESPRIT

ENTRE LE CORPS ET L’ESPRIT je m’embrouille Lequel des deux m’a dicté ces paroles ? Ma réponse est « barbouillée » comme l’écrit le meilleur connaisseur de soi-même que je connaisse : Enfin toute cette fricassée que je barbouille ici n’est qu’un registre des Essais de ma vie, qui est pour l’interne santé, exemplaire à prendre l’instruction à contre-poil. Mais quant à la santé corporelle, personne ne peut fournir d’expérience plus utile que moi, qui la présente pure, nullement corrompue par art et opinion. MontaigneSi je comprends bien, mais je peux me tromper, en ce qui concerne l’esprit (mon for intérieur), il vient un âge où tout ce qu’on m’a enseigné, je dois le prendre à contre-courant. Et quant au corps c’est d’abord moi qui doit l’écouter, pour prendre soin de ma santé et éviter le plus possible de m’en remettre au médecin qui ne reçoit que des « patients », ceux qui pâtissent, qui sont « malades ». Conclusion : Mes conditions corporelles sont en somme très bien « accordantes » à celle de l’âme…J’ai une âme toute sienne, accoutumée à se conduire à sa mode (celle de mon corps). Il faudra creuser et réécrire tout ça, écrit ma main dans la foulée, laissant mon esprit coi.

CE QUE J’APPELLE PARLER

CE QUE J’APPELLE PARLER c’est ouvrir un autre parler -disait plus ou moins Montaigne- qui aussi faute de mieux parlait au papier Parler de ce qu’il ne faut taire Terre et ciel Marelle Viens rêver l’envers des discours terrassants voués à ce rhinocéros des syllogismes mortels Parler de nos instants que l’on croyait perdus Concevoir énoncer le choix des mots soleils des nuits Parole pétillante qui vient à la fin nous bluffer Ouverte à la fin de cette petite page (format 110 mmx165) Ouverte à un autre parler Plaisir en soi de s’être parlé Appuyés sur l’inconnaissance (une formule de Tchouang-tseu)

écrit tel quel JJ Dorio nuit du 10avril 2023

PLUME (plumplum tralala)

PLUME

Pendant que les gens dorment, ou essaient de dormir, je remue ma plume en tous sens. C’est comme une longue maladie après laquelle on trépasse. Mais on ne dit plus ainsi, le verbe « trépasser » semble désormais faire peur à ces mortels que l’on qualifiait au temps des dieux d’ « heureux ».

J’écris sans dire mot, je mets à la voile, je cingle ou prends un ris.

J’écris Balbec, ce nom magique inventé pour cause de Recherche des lieux perdus. J’écris il n’est bon bec que de Paris et de cette écriture qui naît en l’absence de lecteurs de bonne foy. Non le poète de Douve basse, mais l’écrivain des Essais qui ajouta à Michel son prénom, le nom de sa demeure de Montaigne.

Et non Montagne du Perche où naquit Émile Chartier, fils de vétérinaire, dont le nom de plume fut Alain.

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ATTENTION POÉSIE

à Michel de Montaigne,

Toujours on reçoit en plein nez ce poteau : ATTENTION POÉSIE. Pourquoi?
Franchement je n’en sais rien, je me le demande.
Je ne m’obstine à écrire des poèmes peut-être que pour tâcher de savoir.
Jacques Réda
Une lettre à Action Poétique (29 mai 1977)
 

Je ne sais pas ce que va dire le poème,
Mais tout en le faisant,
Je vais indiquer ma manière de procéder :

Ici et maintenant – c’est la nuit –
et j’ai préparé mon activité particulière
ainsi :

J’ai écouté les silences pianistiques de John Cage
J’ai lu un entretien d’Octavio Paz
qui m’a – par parenthèse – soufflé les premiers mots
que j’ai traduits
J’ai dessiné le signe chinois Xue (étudier)
Avec en vis-à-vis une page de 77 « hypnographies »


Maintenant que peu à peu sont venus le souffle et l’énergie,
Le texte peut se tramer,
S’imaginer ligne à ligne,
Persévérer dans l’attention extrême,
L’humour et la fantaisie,
Le rythme lent ou rapide,
S’ouvrir à la polysémie

Ah! j’oubliais :
pas de rature…
j’écris au fil de l’épée

Le poème peut maintenant s’affirmer
avec ses variétés d’un unique moment :

L’épée pour la plume
Coltrane qui a remplacé Cage
et cette allure vagabonde
retirée des occupations communes du monde
qu’appréciait tant Montaigne

Je m’imagine que l’infatigable lecteur écrivant ses Essais
 Sera pour les derniers accords de ma pièce,
mon lecteur essentiel

Je l’imagine à mes côtés
Secouant après cet exercice,
(qu’il nommait « de l’exercitation »),
le kaléidoscope des résurrections :

Tout un poème !



J’ai dessiné le signe chinois Xue (étudier) Avec en vis-à-vis une page de 77 « hypnographies »

ET DE QUOI MEURT-ON ?

Et de quoi meurt-on ? Si ce nest du Temps qui nous joue, la vie durant, de la mandoline, ce petit instrument à forme damande, avec ses six cordes doublées à lunisson, dont Vivaldi fit un concerto sublime pour les jeunes filles quil saoulait de musique à « lOspedale de la Pietà. »

Et de quoi meurt-on ? Si ce nest de pitié pour un cheval frappé à mort, sur une place de Turin, par un cocher ivre danimalité, et que Nietzsche dans un dernier geste embrasse à lencolure avant de seffondrer pour léternité.

Et de quoi meurt-on ? À Sète cette fois, sur les pentes du « Cimetière marin », sur une page où la forme décasyllabe hume la future fumée de Valéry, lImmortel à lépée académique.

Ou bien, cest en bas, au cimetière des pauvres, que lautre sétois, « lhumble troubadour », exhibe sa « Supplique », en alexandrins sil-vous-plaît, faisant du pédalo, « éternel estivant », sur la plage de la Corniche.

Et de quoi meurt-on ? « Ce n’est guère important », pense Montaigne « plantant ses choux » et « nonchalant » dElle faucheuse, camarde, camarade du dernier souffle.

Ou bien, surprise du chef, cest Rambour le poète de Bayeux qui maide à pousser mon dernier soupir, dans une page de son ouvrage La nuit revenante, la nuit. Car on meurt de tout cela, jusquà la dernière note de mandoline sur le générique1

1 Jean-Louis Rambour LA NUIT REVENANTE, LA NUIT  Edition des Vanneaux (2005)

Mais on peut aussi « refuser de mourir » :

PHÉNIX

En procédant à limpossible rangement des livres de mes bibliothèques, jai effacé tous les noms dauteurs. Des voix anonymes sélèvent du papier, images de lévidence poétique ou paroles qui peu à peu séteignent.

À la fin, ma librairie est réduite à une planche branlante de cerisier.

Le peu de livres réunis ont retrouvé un auteur unique refusant de mourir ;

Oiseau des vents, pierre vive, arbre enchanté, métaphores vives embrasant Phénix.

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