Il court sur le papier Il sonne sur le clavier Il se projette sur la toile Mon art est de surface Intuition mimesis une flûte invisible un mot pour un autre une tache de soleil noir Mon art est de surface un mur arborescent un accord de guitare désaccordée une page perdue dans un livre fermé Mon art est de surface c’est une dédicace donnée par un auteur fictif imaginé par Borges ou le catafalque bleu blanc rouge sur le cercueil de Paul Valéry ce sont les trois minutes trente-trois de silence d’une partition de John Cage Mon art est de surface couché par écrit chanté au studio Le Petit Mas projeté sur des toiles d’abstraction lyrique posées à plat sous l’olivier Mon art est de surface : grains de voix collés sur bandes magnétiques traits d’encres appliqués sur le calcaire coquillier ou la plage de Fos cris du soir des martinets Mon art est de surface livre de sable infini clavier plus ou moins tempéré page unique qui termine sa boucle comme un œil qui ne veut pas se fermer
ABSTRACTION LYRIQUE pure acrylique Dorio 18/05/2023
Les fleurs de l’Art Belles éphémères Ou « absentes de tout bouquet »
SECRETS DE JARDINS
Forcément, chacun cultive son jardin ou le laisse à l’abandon. Ces derniers, outre les ronces, euphorbes ou matricaires, sont peuplés d’espèces venues des quatre coins de la planète Terre, le robinier faux acacia, le buddleia de David, la renouée du Japon. C’est une aubaine pour les oiseaux du ciel qui viennent y nicher au risque de se faire dévorer par les chats maraudeurs. Dans l’autre cas, celui du jardin cultivé, le jardinier remue ciel et terre pour que chaque fleur reçoive sa part de lumière, la noire comme l’irisée. Et ça donne les fleurs du mal du poète du Spleen, la fleur absente de tout bouquet du Symboliste, le bariolage des Baroques, le jardin imparfait de l’auteur des Essais, et celui de mon père, qui fut sa gloire et dont je cultive les Regrets.
LES SOURCILS DE LA JOCONDE ET LA ROBE DE CHAMBRE DE MME SWANN les soucis de Leonard qui jamais ne la finit croit-on Ceux qui parlent de la Joconde ne l’ont jamais regardée Ni son commanditaire d’ailleurs pour qui une dame sans sourcils ne pouvait être qu’une putain Les soucis de Da Vinci En supposant qu’il ait donné un jour son dernier coup de pinceau nul ne sait quand et combien d’années furent nécessaires pour qu’il peigne ce portrait quotidiennement violé par des milliers d’appareils reproducteurs de photographies L’article de Wikipédia sur Mona Lisa contient aux dernières nouvelles (ce 2 janvier 2023) 142 notes référencées Le mercredi 23 août 1911 Le Petit Parisien (le plus fort tirage des journaux du monde entier) titre : « Le célèbre tableau de Leonard de Vinci « La Joconde » a disparu du musée du Louvre Comment ? Depuis quand ? On ne sait pas Il nous reste le cadre » Il nous reste à méditer de longues heures sans rien ajouter de personnel sur le tableau et ses gloses Le portrait de Marcel Proust peint par Jacques-Émile Blanche est « La Joconde des Proustiens » Quant au maître du « Temps Perdu » voilà ces goûts iconoclastes écrits en bonne et due forme : La Joconde se serait trouvée là qu’elle ne m’eût pas fait plus de plaisir qu’une robe de chambre de Mme Swann ou ses flacons de sel.
ART DE NOUS RENDRE HEUREUX par l’écriture de textes faits à la main avec des mots puisés dans les mots de livres épuisés Au bout d’une vie d’exercice de la poésie, ma conviction la mieux ancrée est que celle-ci, la poésie, ne va nulle part. 1 De là qu’elle ne serve à rien, il n’y a qu’un pas, que nous ne franchirons pas. Pas plus que nous ne demanderons Pitié pour nous qui combattons aux frontières de l’illimité et de l’avenir 2 Art de nous rendre heureux par la lecture d’infinis traducteurs qui remettent sans cette notre Odyssée sur le métier : Muse, dis-moi le héros aux mille expédients, qui tant erra, quand sa ruse eut fait mettre à sac l’acropole sacrée de Troade 3 C’est l’homme aux mille tours, Muse, qu’il me faut dire, celui qui tant erra quand, de Troade, il eut pillé la ville sainte 4 O Muse, conte-moi, l’aventure de l’Inventif celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra 5 Chante par ma voix, Ô Muse, l’Homme aux nombreuses ruses qui tant et tant fut chahuté, après (que l’une d’elle eût permis) la mise à sac de la fortification inexpugnable de Troie 6 Et pour ce qui est de la notion de « traducteur », après avoir « listé » une somme d’impressions venues des choses et des êtres qui dans la réalité l’ont entouré, (soit l’ombre d’un nuage qui nous enveloppe en passant sur le pont de la Vivonne, une phrase admirable de Bergotte, l’écrivain, une remarque à mi-voix faite par le narrateur chez les Guermantes, un peu grisé par leurs vins), l’auteur-phénix de la littérature française conclut ainsi sa phrase : Je m’apercevais que, pour exprimer ces impressions, pour écrire ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain, n’a pas, dans le sens courant, à l’inventer puisqu’il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur. 7 Art de nous rendre aptes à nous dessaisir de la magie du verbe qui faisait mousser les images surréalistes, voilà que notre Bergère Ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin 8qui anticipait le Manifeste, se transforme dans le sonnet d’un mathématicien en Une amoureuse à la grande poste du Louvre (qui) Pousse fébrilement sa lettre dans la boîte…Un jeune homme aux cheveux de pohètes L’attend sur le trottoir mangeant des cacahuètes 9 Art de nous rendre sensible au fait que même si nous constatons la désertion par « les masses » du fait poétique (excepté dans le domaine de « la bonne chanson française ») la messe n’est pas dite : Qu’un oiseau rouge dans l’aube Entre et se repose Un instant parmi les livres Vautla peine de vivre 10
1 Salah Stétié 2 Apollinaire 3 Médéric Dufour et Jeanne Raison 4 Victor Bérard Jean Bérard Robert Flacelière 5 Philippe Jaccottet 6 Jean-Claude Angélini 7 Marcel Proust 8 Guillaume Apollinaire 9 Jacques Roubaud 10 Claude-Henri Rocquet
CINQ POÈMES
Les poèmes ci-dessous sont destinés tant aux amoureux des livres de poésie qu’aux praticiens d’un nouveau savoir-lire, sur les écrans de la grande conversion numérique. Dans un monde régi par la logique du marché, où l’individu doit être rentable ou périr, la poésie n’a pas de prix : innocente, dérangeante, pauvre et sans valeur marchande, elle est toujours l'humaine mesure, au carrefour des rêves et des réalités, un cami compartit, « un chemin partagé », qui relie maille après maille ses lecteurs dispersés, joie et douleur mêlées dans un simple poème, qui ne fait que passer…1
JE DÉTESTE L’ART POUR L’ART
Dit-il en heptasyllabes
Las ramas del vendaval
« Les branches du vent d’aval »Je déteste l’art vendu
Au marché de poésie
El gallo abre el día
« Le cri d’un coq dans l’aurore »Le droit d’aimer sans mesure
Dit Camus à Tipasa
La llum ensalobrada
« La lumière sel et poivre »Il dit Je tourne la page
J’ai jeté toutes mes clefs
Mais c’est pure rhétoriqueElle se souvient de tous
Ceux qui ont chanté cet air
Voce ‘e notte ‘e te
Quanta malancunia*Dans le théâtre de rue
Les soirs d’été sur la chaise
Mélancolie prend le fraisLes poèmes sont des pierres
Des feuilles des cris du feu
Des voix qui viennent du sable
Des lettres de tous les âges
Adressées aux trépassés
Aux noms gravés dans l’oubliLes poèmes se parcourent
En tous sens Espace et sauts
Gambades de nos vies
*Chanson de Napoli que l'on peut traduire ainsi : « Voix dans la nuit Loin de toi, quelle mélancolie ! ». Les autres citations en castillan et en catalan que j’ai traduites avec fantaisie paraissent apocryphes.