JE NAQUIS EN ARIÈGE En quarante-cinq Ah Ris ai-je dit au chat Qui la langue me tire Mon père labourait Semait le blé et l’orge Ma mère cuisinait les produits du jardin le poulet le lapin le canard le cochon l’omelette des poules la soupe au lait des vaches que mon père trayait Fils unique j’étais l’espoir de la famille Instituteur serais Rien de moins rien de plus J’apprendrai za compter Lire faire pâtés D’encre Bâtons et lettres Aux marmots de l’école Plus de porcs de couvées De labours de semailles La mort des paysans La vie d’un enseignant Et voilà tout est dit Le chat s’est endormi Je lui ai donné ma langue Et cet écrit étrange Des débuts de ma vie Avec les animaux Les projets de mes vieux Confidences à mi mots Pensées les yeux fermés Sans flonflons ni enflure Entre rires et pleurs Maintenant que les fleurs Des fêtes de nos vies Ne sont plus qu’avenir Au passé aboli
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JE N’ÉTAIS PAS NÉ
JE N’ÉTAIS PAS NÉ, mais c’était mon futur père qui s’évadait en 1942 d’une ferme allemande, où il était retenu prisonnier, pour rejoindre la ferme où il était né en Ariège Je n’étais pas né, mais c’était ce poète florentin qui à la fin du XIII° siècle commençait le livre de sa mémoire par la formule Vita nuova Je n’étais pas né mais c’était ma mère qui broyait du noir et qui n’avait pas pour supporter son spleen la brassée de poèmes des fleurs du mal Je n’étais pas né mais c’était ce promeneur solitaire s’adonnant à des rêveries traduites sur le papier en dix chapitres dont le dernier est inachevé Et puis je suis né au printemps qui allait clore l’épouvantable guerre que l’amour des miens me cacha
TU DEVRAIS ARRÊTER D’ÉCRIRE DES FADAISES
Tu devrais arrêter d’écrire des fadaises Qui ne parlent qu’au papier Laisser tes mots errer Sur la falaise de sable Sur le buvard de l’encrier Tu devrais ignorer Giono Qui écrivit comme si de rien n’était Avec sa main à plume le jour où sa mère mourut Quand on t’annonça la disparition subite de la tienne Le vingt-sept septembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze Tu lisais précisément Le hussard sur le toit Elle avait passé une mauvaise nuit Mais s’était habillée pour voir encore une fois Le feu du matin jaillir du bois Sur la plaque de fonte Sur le visage de mon père Tu devrais arrêter d’écrire des fadaises Qui ne parlent qu’au papier Laisser tes morts errer
QUAND PEU À PEU ON QUITTE BIEN MALGRÉ SOI LE PARADIS DE SA BIBLIOTHÈQUE
JE LIS JE LISAIS JE NE LIS PLUS
Les vrais paradis qui existent sont ceux que l’on a perdus
Marcel Proust
Je lis des livres en entier, des sagas, des sagaies plantées dans les faux souvenirs d’un danseur balinais, d’un chasseur de baleines à qui il manque un pied Je lis les livres d’hommes remarquables terrassés par l’ennui de se répéter Je lis des femmes qui de leur vie vivante furent d’illustres inconnues dans l’ombre de leur mari et que la postérité encense Je lis des livres en miroir pour tenter de voir ce qu’il y a sous leurs mots Je lis des livres de Zygomars qui gloussent et pouffent vouant un culte à leur zygomatiques Je lis des livres de boniments blablas baratins verbiages absent on ne sait pourquoi de tous les dictionnaires de citations (sauf le mien tenu secret dans un application de mon ordinateur) Je lis des livres sur le café dont celui du professeur Dac qui démontre bol à l’appui que si on en donnait à boire aux vaches « on trairait du café au lait »
Je lisais des livres au café mais c’était avant la pandémie Je lus aussi au cinéma une unique fois pendant la projection de La chinoise prélude à Mai 68 côté Mao Je lisais nolens volens des livres de poésie mais depuis qu’ils ont disparu du « Monde des Livres » j’ai jugé bon de m’en délivrer Je lisais aussi en public en sortant d’une librairie à la plage sur un banc public (banc public) dans le métro (boulot dodo) au bar du PMU (en attendant la course du tiercé changée en quinté +) à l’école des écoliers puis de ceux qui en rendant leur tablier gris revêtent leur tenue professorale Et enfin je lisais déjà bébé sur les lèvres de ma mère l’Oye et les volutes de fumée de mon papa Pipu
Mais c’est fini depuis que je fais partie de la liste des disparus je n’ai plus accès au paradis de ma bibliothèque je ne lis plus
https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi
ma mère dans ton ventre déjà

ma mère
dans ton ventre déjà
j’inventais des roses
avec des crayons de toutes les couleurs
et des aquarelles
dans lesquelles tu me baignais
ma mère
à l’abri du monde violent
de l’Histoire des années 40
dans ta grotte Chauvet de l’enfance première
j’écoutais les pulsations de ton sang
et les musiques du Grand Récit