SALLE DES MOTS PERDUS

Salle des pas perdus Traversée du désert
C’est un mauvais début « Ça va pas le faire »

Ou bien tout au contraire On va persévérer
E caddi como corpo morte cade 1
« Et tombé comme tombe un corps mort »
Le facétieux Groucho va nous relever
« Ou bien cet homme est mort
Ou bien ma montre est arrêtée »

Salle des mots perdus Au terme de tant d’années
Vouées à la recherche d’images pour les yeux,
Ou pour la voix qui répète ce vers mystérieux :
Sunt lacrymæ rerum et mentem mortalia tangunt 2

« Les larmes coulent au spectacle du monde
Le destin des mortels touche les cœurs »


1 Dante La Nouvelle Comédie 2 Virgile (son grand aîné)


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ADIEU À LAUJOURDHUI

J’ai du mal certaines fois à dire adieu à l’aujourd’hui J’aimerais le prolonger revivre encore au ralenti tous ses petits moments d’insouciance : rires et larmes d’une gaieté partagée pour un bon mot, une galéjade (de galer se réjouir), Braises de phrases sur lesquelles on souffle en toute innocence Souviens-toi, se dit-on ensuite lorsqu’on se retrouve seul ou seule Souviens-toi du poème que tu écrivis plus tard (dans l’aujournuit), pour le plaisir de recroiser sur le papier les images et les visages de cette journée particulière L’encre brillait, vibrait d’un lyrisme contenu, la page évoquait cette lumière d’une étoile éteinte depuis des milliers d’années mais qui continuait à nous parvenir comme ce viatique pour l’éternité, que l’on peut lire gravé sur une pierre blanche, sur l’immeuble donnant sur le Quai aux Fleurs et qu’occupa le philosophe doux dingue qui avait pour nom Jankélévitch et que les étudiants des amphis occupés en Mai 68 appelaient affectueusement Janké Adieu donc à l’aujourd’hui, à sa sereine intranquillité, que l’on annote sur notre partition d’un ppp (pianossissimo)

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ON PEUT TOUJOURS RÊVER

lecture à haute voix d’un rêveur qui s’efforce de rester éveillé

On peut toujours rêver sur les rives de la mer noire sur les pages blanches d’un certain Monsieur Plume sur les rêves éveillés d’un autre que soi qui aurait pour nom Ovide ou Michaux

On peut toujours faire abondance d’images orageuses de propos de tavernes et de chercheurs d’étoiles qui peignent les comètes

On peut faire d’écriture mouvement et méditation sur le monde sans fin sur la langue que tel un fourmilier du grand llano l’on déplie sur le soi dont l’assise est à réinventer

On peut toujours faire l’écart de côté d’un haïku débridé être grenouille libellule papillon qui rêve de Tchouang Tseu faire plouf comme dans la cour d’une école où l’on jouait aux barres à la marelle et à passez pompom les carillons

On peut toujours ouvrir les portes ou les fermer être cette persona non grata dans la cité du poison des publicités

On peut toujours rêver avec Métis la Ruse avec Mathis et Alice les enfants de nos filles qui furent elles aussi enfants avant que d’être mères

On peut toujours se baigner dans les prophéties d’un vieil héros de l’Odyssée qu’aucun prétendant n’apprécie

On peut toujours boucler cette correspondance d’un autre âge en évoquant l’enfance de l’Art et les tables tournantes de personnages de romans qui alimentent nos belles rêveries

1° juillet 2022

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LA MAIN SECONDE

…effleurer et pincer par la tête ou par les pieds tantôt un auteur, tantôt un autre ;
nullement pour former mes opinions ;
mais pour les assister piéç'a (depuis longtemps) formées,
seconder et servir.
Michel de Montaigne

Vivre de peu de chose
Accoudé au balcon de sa nuit sauvage 1

Vivre de ces citations glanées
par un guetteur placé à la plus haute cime 2
Celle où il s’interdit de tourner son regard
vers la mer 
cet horrible papier de verre
qui gratte les rochers,
les corps et les âmes 3

Laisser courir cette plume d’un pays inconnu
Qui décortique chaque voyelle de son nom interdit 4 

Vivre de ces images innocentes, imprévues,
puisées dans des livres absents depuis belle lurette
de  toute librairie…


La main seconde est une étude sur les citations d’Antoine Compagnon
1 Julien Gracq (nom de plume) 1910-2007 2 Hubert Juin (nom de plume) 1926-1987 3 Jean Giono (1895-1970) 4 Paol Keineg (1944-    ) 







SOMMEIL

Ha ! Sommeil je t’entends, tu montres en ton silence
Que la mort, non pas toi, me doit fermer les yeux.
Etienne Durand (1586-1618)


Sommeil est un pays où l’on s’enfonce
sans coup férir 

C’est une succession d’images venue de souvenirs
Où se mêlent les personnages de nos lectures
Les fantômes de nos disparu.e.s
Les fragments de notre vie réelle revisitée

Sommeil est diaprure d’un roman de soi
Que Mort effacera