LE LAPS DES ANS NOUS A PARU D’ÉTERNITÉ

898 AU CREUX DE LA NUIT Ocre océan Où les voix des poèmes Ondulent En lettres blanches Sur fond noir Avec les dés Qui sonnent dans nos têtes Les Correspondances Des sons et des sens Et le grand écart de l’Unité Futur : Erreur d’éternité  Michel Leiris

899 LE CARNET SE TERMINE Face à la feuille de papier kraft – mer en deuil sur laquelle je flotte – Il y a la couverture de plastique noir C’est le carnet quatrième Qui désormais va tel un crabe Être épinglé Sur la planche haute de ma bibliothèque Au détour des nuits Le carnet cinquième – ni tout à fait le même ni tout à fait un autre – S’ouvre sur ce vers inspiré Par le poète du Tout-Monde Le laps des ans nous a paru d’éternité. Edouard Glissant 06 octobre 2015  Carnet des nuits IV du  11 août 2015 page 405 au 06 octobre 2015 page 571

900 LE LAPS DES ANS NOUS A PARU D’ÉTERNITÉ Edouard Glissant Lapant le lait des Chats sauvages Pinçant les cordes d’Apache sur une guitare branchée sur la fée Électricité Une à une nous avons pendu les vieilles araires au clou Elles geignent au vent d’autan Le Progrès depuis belle lurette a fermé son étable sur le dernier des paysans L’éternité danse le rock and blues

JE ME PERDS DANS MA PAGE

JE ME PERDS DANS LA PAGE des partis pris de Ponge de l’huître au gosier de nacre et de son obsession pour la tiare bâtarde Je me perds dans Michaux Cloué au lit par une méchante fracture me voilà inventant toute une cavalerie qui passe après la bataille Je me perds dans l’ange sombre de la Melancholia d’Albert Dürer mélas : noir kholè : bile Obscurités non obscures Je me perds dans l’éternité retrouvée la mer allée avec le soleil le pavé disjoint de la cour de l’hôtel de Guermantes Je me perds pour mieux me retrouver dans les pages de Ponge faisant face avec Michaux à ce qui se dérobe le soleil noir de la mélancolie l’éternité de Rimbaud la vocation révélée au narrateur de la Recherche

je me perds dans cette autre page signée : « le Banni de Liesse »

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ADIEU À LAUJOURDHUI

J’ai du mal certaines fois à dire adieu à l’aujourd’hui J’aimerais le prolonger revivre encore au ralenti tous ses petits moments d’insouciance : rires et larmes d’une gaieté partagée pour un bon mot, une galéjade (de galer se réjouir), Braises de phrases sur lesquelles on souffle en toute innocence Souviens-toi, se dit-on ensuite lorsqu’on se retrouve seul ou seule Souviens-toi du poème que tu écrivis plus tard (dans l’aujournuit), pour le plaisir de recroiser sur le papier les images et les visages de cette journée particulière L’encre brillait, vibrait d’un lyrisme contenu, la page évoquait cette lumière d’une étoile éteinte depuis des milliers d’années mais qui continuait à nous parvenir comme ce viatique pour l’éternité, que l’on peut lire gravé sur une pierre blanche, sur l’immeuble donnant sur le Quai aux Fleurs et qu’occupa le philosophe doux dingue qui avait pour nom Jankélévitch et que les étudiants des amphis occupés en Mai 68 appelaient affectueusement Janké Adieu donc à l’aujourd’hui, à sa sereine intranquillité, que l’on annote sur notre partition d’un ppp (pianossissimo)

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SONRIENTE PUDOR

LUnique en nous qui sait où il est ? Les cris, lécrit dun instant en suspens, en présence des quatre horizons et des cinq sens inapaisables. LUnique en nous qui se manifeste en un souffle de vent soudaine 1, la goualante dun gabian 2 des Martigues, linflexion des voix chères qui se sont tues. 3 Ce vers familier, « étrange » qui soudain pénètre notre vie présente, pour « Une minute déternité » Et maintenant cest sonriente pudor 5, traduisant le stoïcisme mélancolique dun auteur dramatique né « indien » (cest-à-dire dans les « Indes » du Mexique actuel). « Une pudeur souriante » qui occupe cet instant présent, marqué par le chant dun bouvreuil coloré sautant de branche à branche sur une haie de pittosporum. La voix de la factrice nommant ce retraité non factice, cet écrivant suspendu au désir et au plaisir délaborer au mieux, et dans un temps qui nest jamais compté, ces écrits paradoxaux quil se donne parfois lillusion dappeler « poèmes ».

1 Brassens (Dans leau de la claire fontaine) 2  Nom local du goéland. 3 Paul Verlaine Mon rêve familier 4 Jean Jacques Dorio Une minute déternité Librairie-Galerie Racine Paris 2008 5 Juan Ruiz de Alarcon (1581-1639)

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ÉCRIRE COMME POUR NE PAS ÉCRIRE SUR LA MORT D’UNE AMIE





Ce n'est pas de mourir que nous mourrons.
Andrée Chedid
Tu as fait tout un livre
sur Oui 
que tu m’as généreusement dédicacé
Pour ta mémoire
J’évoque ton nom

« Écrire pour ne pas mourir »
Chantait Anne Sylvestre
Écrire je t’aime sur le pain
le levain le sexe
disais-tu

Écrire sur tous les noms de nos vies blanches
Quand elles ont rejoint le paradis des Trépassés
Qui ne vibrent désormais plus
Que sur les lèvres des vivants
Balbutiant sous la cendre
Et coulant le miel
de nos « Feuillets d’Hypnos »

Tu as dit Oui
Juste une pierre noire
Sur une pierre blanche
Ajoutait Cesar Vallejo
Un soir qu’il se souvenait
Qu’il mourrait à Paris
« con aguacero »

Un jour d’orage
Une nuit où le signe paraît sur une ligne rouge
sang vie, vie sang mêlés…

vie mêlée à la mer
dans l’amer de la mort
et le goût jusqu’à la ligne dernière
de l’Éternité


titre : Jeanine Baude était une « connaissance » mais pas « une amie » ; le titre est à prendre dans son sens général.
italiques Jeanine Baude Oui (la rumeur libre 2017) et Juste une pierre noire ( Bruno Doucey 2010)