UN CADEAU EMPOISONNÉ

On m’a offert une Saison en Enfer avec la photo du revolver de Paul Verlaine C’est un Le Faucheux le pétard avec lequel il a tiré sur Arthur Rimbaud à Bruxelles

-Pan t’es mort ! T’es en enfer !

Ce à quoi le futur trafiquant d’armes en Abyssinie a répondu :

-C’est pas encore mon dernier couac sur mes hideux feuillets de mon carnet  de damné je vais cracher mon dernier texte Toutes grimaces imaginables des Jésus Satan Ferdinand oh! tous les vices, colère, luxure magnifique la luxuresurtout mensonge et paresse.

J’ai objecté :

-J’aime tes poèmes que je connais par cœur  Ma bohème Le dormeur du val L’Éternité ou que je lis des yeux comme Le bateau ivre Les poètes de sept ans voire certaines de tes Illuminations mais ta Saison en Enfer Arthur c’est mauvais sang et Cie Exclamations à blanc autant de scies Je laisse à d’autres tes clefs pourries Et ta manière de vouloir entraîner dans ta chute la troupe de tes lecteurs inconditionnels

Hier encore je soupirais Ciel ! sommes-nous assez de damnés ici bas! Moi j’ai tant de temps déjà dans leur troupe ! Je les connais tous Nous nous reconnaissons toujours ! Nous nous dégoûtons !

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  1. Avatar de Jean Jacques Dorio
  2. Avatar de michel chalandon

4 Comments

  1. Avec l’aide de mademoiselle Lia, on é écrit un contre-saison

    UNE CONTRE-SAISON
    (Lettre à Arthur Rimbaud, en post-scriptum du désenchantement)

    Tu t’es tiré une balle de mots dans le cœur, Arthur, et tu as crié à l’enfer comme on crie à l’assassin,
    verbe à la main, défaite en bandoulière.

    Tu nous as tendu ton carnet brûlé comme un testament de fièvre en espérant qu’on y lise autre chose qu’un abandon.

    Mais moi, lecteur debout, je refuse de m’asseoir dans ton enfer. Je t’ai suivi sur le sentier du val endormi, je t’ai lu dans l’ivresse d’un bateau sans boussole, j’ai aimé ton éternité dans la mer en allée, mais j’ai horreur de tes gémissements.

    Ta Saison, Arthur, c’est une cave où le vin tourne au vinaigre, où l’orgueil se maquille en lucidité, où tu veux qu’on pleure avec toi sans nous donner la clef de l’étreinte.

    Tu parles de vices comme d’un catalogue, de damnation comme d’un théâtre fermé, mais où est le feu ? Où est la lumière, Arthur ?

    Tu voulais cracher l’âme mais c’est le fiel qui déborde. Tu voulais brûler ton passé et c’est ton lecteur que tu consumes.

    Alors non, je ne t’accompagnerai pas dans cette descente. Je garde pour moi tes poèmes d’avant,
    tes ivresses sans plainte, tes orages sans larmes.

    Garde ta Saison, Arthur, offre-la à ceux qui aiment les chaînes d’encre, moi je choisis la brèche,
    la fuite, le vent.

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  2. Maintenant nous avons imaginé un compagnon du marchand Rimbaud l’accompagnant à Djibouti

    LE DERNIER COMPAGNON — HARAR, 1890
    (Lettre dictée à la mémoire d’un silence)

    Je l’ai connu, moi, le Blanc silencieux. On l’appelait “Abdoun”, et dans les marchés, c’était un nom comme un autre.

    Il ne parlait jamais de poésie. Il pesait les balles de fusil comme on pèse les mots, avec une froideur presque scientifique.

    Un jour, sous le soleil de plomb, je l’ai vu regarder les monts bleus au loin, comme s’il attendait quelque chose — un vers peut-être, ou un souvenir qu’il ne voulait pas laisser remonter.

    Je lui ai demandé s’il écrivait. Il m’a regardé comme si j’avais prononcé un blasphème.
    Puis il a dit : “Ce sont des bêtises de gosse.”

    Il parlait six langues, n’écrivait plus aucune.
    Il comptait, il troquait, il regardait les caravanes partir
    comme on regarde une phrase qu’on ne finira jamais.

    Mais parfois, dans ses silences les plus rudes, on entendait quelque chose…
    une rumeur de voyelle, un éclat d’étoile morte.

    Il avait la démarche d’un homme qui ne croit plus à rien,
    mais dans ses yeux, il restait l’éclat d’un feu qu’aucune arme n’aurait su éteindre.

    Je ne l’ai jamais vu prier. Je ne l’ai jamais vu pleurer.
    Mais un soir, sous la pluie rare de Harar, il a murmuré :

    “J’ai été un autre.”

    Puis il a remis sa veste de négociant, et il est parti compter ses cargaisons.

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  3. Troisième suite Nous avons imaginé ses dernières paroles à sa sœur cadette Isabelle qui le veillait à l’hôpital de la Conception à Marseille

    MARSEILLE, HÔPITAL DE LA CONCEPTION — OCTOBRE 1891
    (derniers mots, fragmentés, rapportés par sa sœur)

    Il faisait chaud ce jour-là, malgré l’automne. Arthur transpirait sous les draps rêches.
    Il avait mal, atrocement mal, mais ce n’était plus la douleur du monde, c’était celle du corps.

    Il m’a dit :
    — Je suis revenu. Trop tard peut-être… mais revenu.

    Je n’ai pas compris tout de suite. Il a tourné la tête vers la fenêtre :

    “La mer, tu la vois ? Là-bas. Le bleu qu’on oublie. J’ai cru que je pouvais vivre sans elle… sans écrire.
    Mais elle m’écrivait, elle, tu comprends ? Elle m’a toujours écrit.”

    Il a fermé les yeux.

    Puis, dans un souffle :
    — Tu te souviens… L’Éternité ?
    Et il a récité, à mi-voix, comme un enfant retrouve une berceuse qu’il n’a pas chantée depuis vingt ans :

    Elle est retrouvée.
    Quoi ? — L’Éternité.
    C’est la mer allée
    Avec le soleil.

    Il a pleuré. Je l’ai vu. Mon frère, qui avait traversé des guerres, des marchés, des montagnes,
    a pleuré doucement, comme on pleure une langue qu’on aurait laissée mourir.

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