SE COUCHER TARD NUIT 1 Se coucher tôt, c’est bien connu, c’est faire son lit du côté de chez Swann Mais c’est un leurre, car pour écrire sa grande œuvre, le sublime narrateur passe nuit blanche après nuit blanche Ainsi le vrai incipit d’à la recherche du temps perdu, est-il « Longtemps je me suis couché de bonheur » passant mes nuits à noircir mes cahiers d’écoliers sur toutes les pages lues sur toutes les pages blanches 2 Le pastiche est la source de toute littérature Comme les repeints successifs font le portrait éclaté d’Odette de Crécy, miss Sacripant, la dame en rose, la dame en blanc, la femme de Swann, la femme en bleu d’Henri Matisse Je parie que cette poétique de l’empiètement produit chez le lecteur une manière de surimpression sur ce que, faute de mieux, nous nommons « la réalité » Ou bien mon texte trop « mal en ordre » le décourage d’en débrouiller les fils Coupant court, j’opte pour « cette hypothèse où l’art serait réel » 3 Ainsi cet art de l’écriture pratiqué par un être « en lambeau », un des journalistes miraculeusement rescapé de « chez Charlie », qui, contraint à trois mois de silence « pour que la lèvre inférieure et ses alentours aient une chance de de cicatriser », écrit sans cesse sur une ardoise avec un feutre qui a remplacé la craie de notre école primaire Quand son frère humain l’informe que la foule se répand dans la rue criant « Je suis Charlie », Philippe Lançon, puisque il faut l’appeler par son nom, traduit par : Profite du soleil malade Dans la paresse de marbre Recouvert de son drap De morphine Il y a peu tu me dansais Un poème de Mickiewicz Qui certainement n’existe pas « Rêve d’un homme calme, tranquille » Sur mon bras blessé Cette hypothèse où l’art seul nous tient debout : « Imagine que tu es une marionnette et qu’on te tient le haut du crâne par les cheveux » De bonheur souvent j’ai couché sur mon papier les maux d’un bavard invétéré ( de « vétéran ») une manière de faire qui s’est renforcée dans le temps Profite du soleil de nuit d’un encore bien portant avec le silence du langage absolu, du langage pensant 4 du langage pensant absolument la convergence et la divergence, la page blanche et la métaphore vive, …
1 Raymond Devos 2 Paul Eluard 3 Marcel Proust 4 Maurice Merleau-Ponty