LA TRAVERSÉE DES VOIES PÉRILLEUSES

CETTE CINQUIÈME CARTE DORÉE je ne l’ai pas écrite puisque je l’ai imaginée les yeux fermés Maintenant je m’y mets je m’y colle sous la lampe mais aussi j’ai vu en me levant pour mes besoins élémentaires une faible lueur non celle brillante et rosée qui a pour nom l’aurore mais la blanche encore grise : l’aube indécise et voilée, l’aube affaiblie de Verlaine qu’il confond avec la mélancolie des soleils couchants Cette cinquième carte dorée, laurée comme le crâne des poètes honorés d’une couronne de laurier Et me voilà de fil en aiguille hivernant dans ce passé de Jean Bouchet (1476-1557) « le traverseur des voies périlleuses » (c’est ma fille qui me l’a enseigné) Entre profane et sacré, Jean Bouchet, procureur poitevin de profession, se dévoile comme passeur, traverseur, éclaireur du labyrinthe d’un monde secoué par l’humanisme naissant Moi qui ne l’ai pas vraiment étudié, en lisant ses épîtres, je nage en plein bonheur de mes anachronismes, le labyrinthe, les voies périlleuses, les traversées dans un désert poétique qui associe prose et vers, l’ombre portée des Grands Rhétoriqueurs, la rhétorique encomiastique*, les triomphes de la noble et amoureuse dame, où notre auteur du XVI° siècle substitue, dit une étude, la modération, la juste mesure à une rhétorique de l’excès ornemental Un éditeur voyou (ils l’étaient tous à cette époque) publia des pièces de Bouchet qu’il affubla d’un autre nom Le poète juriste en colère fut le premier à intenter le procès d’un auteur contre son éditeur Plusieurs ont dit ainsi comme j’entends Que je perdais à rimasser le temps Mais telles gens ne savent par quel guise Le temps les jours et heures je divise Si j’empruntais en trente ans le séjour Pour composer une seule heure par jour Ne font pas grands le temps et les demeures De dix fois mil neuf cent et cinquante heures ? (je signe cet extrait de Bouchet…les yeux fermés) 1 rhétorique encomiastique : qui concerne la composition, l’écriture ou la prononciation d’éloges (cette poésie d’éloges écrite dans des épîtres se terminait le plus souvent par une demande de soutien du pauvre « poète dépourvu » : lire « les épîtres de requête de Roger de Collerye (1468-1536)