POÈTE À NEW YORK : ENTRE LES FORMES QUI SERPENTENT ET CELLES QUI CHERCHENT LE CRISTAL
-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -En lisant Lorca, Poeta en Nueva York, j’ai rechargé en moi mille images d’une poésie unique, lyrique et massacrante, liées à une ville que j’ai moi-même, sillonnée, éprouvée, fatiguée, durant trois longs séjours, des années 70 au printemps 2022. -Toi aussi alors, « Poète à New York » ? -Ô non, d’abord tu ne m’entendras jamais me désigner sous ce terme, ensuite quand Federico fait son séjour newyorkais, « étudiant » à Columbia University en 1929-30, (oui ce sont les années de la Crise économique dévastatrice), il a déjà publié bon nombre de poèmes isolés ou en recueils, qui lui valent une reconnaissance majeure en tant que Poète. (Le Romancero Gitano par exemple est publié entre 1924 et 1927). -Alors je t’écoute, j’ai hâte de plonger moi aussi dans l’univers new yorkais sous le regard de Lorca. –«Entre les formes qui serpentent et celles qui cherchent le cristal»1 «Trébuchant contre mon visage autre de chaque jour Assassiné par le ciel» 2 Note bien qu’en ce qui concerne les « formes » de la ville, tous les immeubles Art Déco sont déjà construits, « l’Empire State », « Le Chrysler Building », entre autres. Quant à l’impression du narrateur-poète d’être « assassiné », c’est le prélude à toutes les métamorphoses d’un Phénix qui doit lutter contre « tout ce qui est fatigue sourdemuette et papillon noyé dans l’encrier »3 -Je suppose que New York 1930 a des thèmes obligés. -Si. Les Nègres de Harlem (je sais on ne peut plus reprendre le mot, forgé par Césaire et Senghor, les amis normaliens), la Foule omniprésente (« Multitude d’urine et de vomi », à Coney Island, poème daté du 29 décembre 1929), les Nocturnes de la Ville-Insomnie, Ciudad sin sueño, dont l’un est écrit depuis le Brooklyn Bridge : « La vie n’est pas un songe Alerte ! Alerte ! Alerte ! Personne ne dort dans le monde. Personne, personne. Personne ne dort. Même les morts du cimetière Ce matin l’enfant qu’ils ont mis en terre pleurait si fort qu’il a fallu appeler les chiens pour le faire taire. Personne ne dort dans le ciel. Personne. Personne. Personne de dort. Les iguanes viendront mordre les hommes sans songes. Personne ne dort dans le monde. Personne. Personne. Je le dis et le redis. Cependant si les tempes d’un nyctalope sont envahies de mousse, ouvrez les écoutilles pour qu’il voie sous la lune, les coupes du tarot de Marseille, le venin et les crânes-vanités que l’on montre sur la scène des théâtres. 4 Les Assassinats : « -Comment c’est arrivé ? -Comme ça. -Le cœur est sorti tout seul. -Aïe, pauvre de moi ! » 5 ou bien les Amants assassinés par une perdrix 6 Bien d’autres thèmes encore, mais Lorca finit en composant deux valses. L’une reprend el vals, un poème de Vicente Aleixandre : Une feuille tomba/ et deux/ et trois/ Dans la lune nageait un poisson/ La dame/ était morte sur la branche (échos d’Apollinaire : « une dame se tord le cou/ Auprès d’un monsieur qui s’avale). Puis, Rideau, el poeta quitte Nueva York pour Santiago de Cuba. Et moi je pleure ma Dulcinée que là-bas une nuit d’avril 1977, je rencontrai. « Voir la Vie et la Mort La synthèse du monde Qui dans le profond espace Se regardent et s’enlacent » 7 traductions faites dans mon atelier des Martigues ce cinq mai 2023 jjd
1 Entre las formas que van hacia la sierpe/ y las formas que buscan et cristal 2 Tropezando con mi rostre distinto de cada día ¡Asesinado por el cielo ! 3 Con todo lo que tiene cansancio sordomudo y mariposa ahogado en el tintero 4 No es sueño la vida. ¡ Alerta ! ¡ Alerta ! ¡ Alerta ! No duerme nadie por el mundo. Nadie, nadie, nadie. No duerme nadie. (…) y el niño que enterraron esta mañana lloraba tanto, que hubo necesidad de llamar a los perros para que callase. No duerme nadie por el cielo. Nadie, nadie, no duerme nadie. Vendrán los iguanas vivas a morder a los hombres que no sueñan. Pero si alguien tiene por la noche exceso de musgo en la sienes Abrid los escotillones para que vea bajo la luna las copas falsas, el veneno y la calavera de los teatros. 5 –Cómo, cómo fue ? -El corazón salió solo. -¡ Ay, ay de mí ! 6 Amantes asesinados por una perdiz 7 Ver la Vida y la Muerte La síntesis del mundo Que en espacio profundo Se miran y se abrazan