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UNE NUIT DE BAMBOCHADES
-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Cette nuit je suis resté cloué au lit, mais sans être malade « complètement malade », comme chantait avec force et malice un certain Lama. Au lit, lisant et faisant forces prélèvements de mots, d’expressions et de vers entiers. -Comme ? – Ces deux décasyllabes dont je te défie de trouver l’auteur : Quand d’Amsterdam le coq chantera La poule d’or de Harlem pondera. -En effet je ne vois pas, mais par contre s’il s’agit d’Amsterdam chanté par Brel, je crois qu’il faut ajouter un « a » à Harlem. -Haarlem en effet, bien joué, tu as raison. C’est une ville voisine du port hollandais qui a donné son nom au quartier newyorkais. Haarlem fut le théâtre de peintures dites « bambochades », tableaux de genres des peintres flamands. Ainsi j’ai fait le tour de quelques reproductions, telle la toile de Jean Both, les joueurs de mora (le jeu de la Moure), celle de Karel Dujardin, les charlatans italiens ou celle de Frans Hals, le vieux joueur de rommelpot (un tambour à frictions que l’on fait vibrer). Et pour le reste j’ai lu et relu le poème source d’Aloysius Bertrand intitulé Harlem. Harlem, cette admirable bambochade qui résume l’école flamande, Harlem peint par Jean-Breughel, Peeter-Neef, David-Téniers et Paul Rembrandt. Et le canal où l’eau bleue tremble, et l’église où le vitrage d’or flamboie, et le stoël où sèche le linge au soleil, et les toits, verts de houblon. Et les cigognes qui battent des ailes autour de l’horloge de la ville, tendant le col du haut des airs et recevant dans leur bec les gouttes de pluie. Et l’insouciant bourguemestre qui caresse de la main son double menton, et l’amoureux fleuriste qui maigrit, l’œil attaché à une tulipe. Et la bohémienne qui se pâme sur sa mandoline, et le vieillard qui joue du Rommelpot, et l’enfant qui enfle une vessie. Et les buveurs qui fument dans l’estaminet borgne, et la servante de l’hôtellerie qui accroche à la fenêtre un faisan mort. -Magnifique, une pièce rare, de cet auteur dont la prose poétique de Gaspard de la nuit, inspira Baudelaire. Et le distique du coq et de la poule d’or ? -C’est une centurie de Nostradamus.