ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT ? 12 Morale élémentaire :un roi pour le cinéma.

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MORALE ÉLÉMENTAIRE : UN ROI POUR LE CINÉMA

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Dans la nuit brune au clair de lune là où s’embourbe le dernier fiacre de la monarchie angloise, sous les vivats ! -Ah ! Charles III. -Oui et Guillaume le Conquérant leur premier souverain venu de Normandie. Futurs brumeux. En courant les rues surgissent parfois les rois mages inconnus dont le passant las ne déchiffre pas l’errance et le but. Le passant et les télévisions qui confondent la réalité avec la réalisation d’un spectacle kitsch en mondovision. Futurs instables, futurs révélés, Nostradamus sur ses grands chevaux court à travers les siècles des siècles : le roi des Îles perdra ses confettis du Commonwealth, un homme qui ne s’attendait pas être roi promptement le remplacera. Calculs incertains. Baratins lointains. Barati baratin, je puise dans la presse pipol et surtout dans le dernier ouvrage du Mage Queneau qu’il intitula Morale élémentaire. La carriole de l’Oulipo va cheminant et parfois recule. On dévide des fils de soie qui tissent des robes en or qu’un vieux monarque et sa mounaque portent avec allure et ridicule. Le cinéma édulcore ça.  

ALORS QU’EST-CE QUE TU AS ÉCRIS CETTE NUIT? 6 THÉOPHILE DE VIAU

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POUR L’HONNEUR D’UN POÈTE PERSÉCUTÉ PAR LA SAINTE ÉGLISE PEU CATHOLIQUE

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Cette nuit j’étais au pays des Lestrygons, celui du chant X de l’Odyssée, où « les chemins du jour côtoient ceux de la nuit ». Une métaphore pour indiquer le lieu obscur où ne filtrent que « quelques minces filets et de lumière, plus pâles que le moindre lumignon », où est écroué le prisonnier dont j’ai relu la défense qu’il écrivit en latin, pour ne pas que puisse la lire et la déformer, la « foule insensée, vile populace, mer instable, aveugle tourbillon, lie de la terre, rebut du monde, ennemie impuissante de la vertu, foule criarde, fidèle soutien de la calomnie, foule infecte, ignare vengeresse de riens, foule aveugle qui n’a pas de nom, si ce n’est « Fama, malum quo non aliud…Tam ficti pravique… »(Énéide : Rumeur, fléau, plus rapide qu’aucun autre…).  -Olala ! il en avait gros sur le cœur. -Et oui, car c’est cette populace qui aboyait en relayant les écrits de son accusateur, le Révérend Garassus de « la Compagnie de Jésus » (sic) -Il est temps que tu me donnes le nom du prisonnier. -Oui, ses pages écrites en prison Theophilus in carcere, sont augmentées par Apologie de Théophile, sa requête aux Seigneurs du Parlement : Factum de Théophile et sa lettre au roi Louis XIII.  Théophile de Viau victime d’un pamphlet de mille vingt-cinq pages de Garassus la Crasse, à partir d’un livre attribué à notre « Libertin », en réalité monté de toutes pièces par son libraire (éditeur) escroc (il s’appelait Estoc !). Lors la machine infernale de la Sainte Église Catholique Apostolique et Romaine se mit en branle, on brûla Théophile en effigie, il fut arrêté, écroué à la Conciergerie, il subit plusieurs vagues d’interrogatoires, il fit la grève de la faim écrivit sa défense et subit à la fin des fins le bannissement, faute de preuves pour qu’il passe au bûcher. Mais il avait pris la mort dans le cachot obscur et un an après, à trente-six ans, s’en alla ad patres. Vous savez qu’une injuste race
Maintenant fait de ma disgrâce Le jouet d’un zèle trompeur, Et que leurs perfides menées, Dont les plus résolus ont peur, Tiennent mes Muses enchainées.  S’il arrive que mon naufrage Soit la fin de ce grand orage
Dont je vois mes jours menacés, Je vous conjure ô troupe sainte Par tout l’honneur des Trépassés, De vouloir achever ma plainte. […]   
Prière de Théophile aux poètes de ce temps

ALORS QU’EST-CE QUE TU AS ÉCRIT CETTE NUIT? 5 Assis sur le pavé des villes

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ASSIS SUR LE PAVÉ DES VILLES

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Ne m’en parle pas, j’ai côtoyé l’abîme des hommes, des femmes et quelquefois des enfants, qui vivent dans la rue. -Des SDF veux-tu dire ? -Encore un acronyme pour cacher la réalité. On crève sous les acronymes. -Alors quoi ? -C’est encore un de mes rares amis qui a eu l’audace de faire 15 lignes pensées et qui font réfléchir, au-dessus d’une photographie d’un pauvre diable assis sur le pavé des rues, adossé au portail rond d’une cathédrale, couché sur un matelas de mousse, (loin du trou de verdure où mousse une rivière), assise sur un bout de carton devant un titre du Courrier picard : Animaux sauvages en ville, ou cette autre, pliée en deux, cassée, claudiquant dans une galerie de marbre, tenant dans ses pinces un gobelet de carton, ou, plus lyriquement, jouant du rebec rue du Taur à Toulouse. Ou bien encore, on est devant le cimetière du Mont Parnasse, qui permet à nos mendiants, nos échoués, nos laissés pour compte du champ de bataille de l’hyperconsommation, nos cloches et nos quasimodos, « d’aller pisser chez les morts ». Jean-Louis rambour Pauvres de nous Gros texte 2020

ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT 2 L’AMOUR DES BISTROS

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L’AMOUR DES BISTROS

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? – Ah ! je me suis perdu dans le labyrinthe des cafés de Paris. – Des bistrots, veux-tu dire ? -Oui, et même des bistros. J’ai longtemps écrit sur leur table. -Et tu ne t’es pas fait jeter ? -Non, pas sur la table même (encore que), mais sur un carnet posé sur la table d’un troquet, à côté d’un demi ou d’un café. D’ailleurs mes carnets s’appelaient « Bistrotable ». -Et tu ne peux pas m’en donner un échantillon ? – Pour ça, faudra que je cherche dans mon cafouch. – C’est quoi ça ? – Le cafouchi, un mot de Marseillais et donc de Martégal (c’est mon cas), c’est l’endroit sous l’escalier ou ailleurs, où tout s’entasse, pêle-mêle. – Mais je suis sûre que tu en as gardé une version sur ton ordi. – Promis je chercherai demain, mais vu ton impatience je vais improviser, style I remember. – Je suis toute ouïe. -Je me souviens de À la bonne bière, rue du faubourg du Temple, à côté de la piole de mon pote Juan qui m’hébergeait. Y avait un type qui passait chaque soir en promenant un rat au bout d’une ficelle. Je me souviens du Cluny sur le Boulmich. C’est là que j’ai lu la « Théorie de la démarche » de Balzac. Il décrivait les gens qui passaient devant lui et les classait dans des catégories qu’il inventait au fur et à mesure, comme Arlequins, Marins, Militaires, Cocottes, Napoléons, et tutti quanti. Je me souviens du Zimmer, place du Chatelet, où j’imaginais Proust dansant sur les tables. Et, bien sûr, je me souviens du Mabillon, où j’imitais Perec, nommant (il s’enregistrait et on peut entendre toujours sa voix sur un postcast de France cul.) les autobus, le 86, le 87, les ouatures et camionnettes portant parfois des réclames « Les cocotiers sont arrivés ! » et même parfois les passants avec ou sans parapluie. Je me souviens …-Super. J’attends avec curiosité que tu me sortes tes vieux rossignols nichés quelque part sur ton disque dur. -Oh tu sais, je crois qu’avec le temps, ce sont devenues de vieilles chouettes.

JE N’AI JAMAIS VU BÉNARÈS

JE N’AI JAMAIS VU BÉNARÈS Je n’ai jamais vu l’âme noire d’où s’échappe l’étincelle du dernier songe Je n’ai jamais vu le Gange halluciné des Indes Je n’ai jamais vu Bachelard le dormeur éveillé plongé avec ravissement dans l’éphémère barque de la nuit psychique Je n’ai jamais vu le douanier Rousseau le pittoresque ami d’Apollinaire Je n’ai jamais vu le sol jonché de mains coupées Je n’ai jamais vu le Chef des Signes de l’Automne Je n’ai jamais vu Ravensbrück la racaille hitlérienne dressée comme des chiens Je n’ai jamais vu l’intelligence et l’espérance la débrouillardise résistance de Germaine Tillion Je n’ai jamais vu les Chimères se baignant dans les eaux dormantes Je n’ai jamais vu Hugo désagrégeant le vers –brisant une à une ses barres de mesure- Je n’ai jamais vu les pyramides d’Egypte –ni celle du Mexique d’ailleurs- Je n’ai jamais vu Napoléon Je n’ai jamais vu le Nil –le Bleu le Blanc le Nihil- Je n’ai jamais vu les mouches dans les tombes royales Je n’ai jamais vu Dieu Je n’ai jamais vu le temps passer Je n’ai jamais vu les chutes du Niagara Je n’ai jamais vu Bénarès