LES SOURCILS DE LA JOCONDE

LES SOURCILS DE LA JOCONDE ET LA ROBE DE CHAMBRE DE MME SWANN les soucis de Leonard qui jamais ne la finit croit-on Ceux qui parlent de la Joconde ne l’ont jamais regardée Ni son commanditaire d’ailleurs pour qui une dame sans sourcils ne pouvait être qu’une putain Les soucis de Da Vinci En supposant qu’il ait donné un jour son dernier coup de pinceau nul ne sait quand et combien d’années furent nécessaires pour qu’il peigne ce portrait quotidiennement violé par des milliers d’appareils reproducteurs de photographies L’article de Wikipédia sur Mona Lisa contient aux dernières nouvelles (ce 2 janvier 2023) 142 notes référencées Le mercredi 23 août 1911 Le Petit Parisien (le plus fort tirage des journaux du monde entier) titre : « Le célèbre tableau de Leonard de Vinci « La Joconde » a disparu du musée du Louvre Comment ? Depuis quand ? On ne sait pas Il nous reste le cadre » Il nous reste à méditer de longues heures sans rien ajouter de personnel sur le tableau et ses gloses Le portrait de Marcel Proust peint par Jacques-Émile Blanche est « La Joconde des Proustiens » Quant au maître du « Temps Perdu » voilà ces goûts iconoclastes écrits en bonne et due forme : La Joconde se serait trouvée là qu’elle ne m’eût pas fait plus de plaisir qu’une robe de chambre de Mme Swann ou ses flacons de sel.

LECTEUR FACE AU PELOTON D’ÉXÉCUTION

COMMENT FAIRE LIRE MES ENFANTS me demandent désappointés des parents qui ne lisent jamais en présence de leurs enfants Comment faire lire mes parents questionne espiègle cet ado plongé dans la lecture au long cours de l’Idiot Comment ne pas mettre sous les yeux des non-lecteurs cette phrase d’un certain Charles Louis de Secondat de la Brède plus connu sous le nom de Montesquieu :   L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture m’ait ôté Comment cette lecture peut-être aussi déroutante que cette Esquisse d’une psychologie liminaire à travers une porte fermée : -Qui est-ce ? C’est toi ? -Oui c’est moi, c’est moi : c’est bien moi, ton ogre et ton silence, ton abîme et ta vie, ton inconnu, ton dieu, ton épouvante. Comment ne pas aimer ces écarts de langage, bleu angélus, jardin de l’espérance qui se dissout en une palpitation de rayons d’argent et de pétales de roses Ou bien poésie pure, « cette longue hésitation entre le son et le sens » Et face « au peloton d’exécution » quelle sera cette dernière phrase qui me viendra en tête in extremis ? avec Jean Tardieu, Mallarmé, Marcel Proust, Valéry et l’incipit de cien años de soledad : Muchos años después, frente al pelotón de fusilamiento, el coronel Aureliano Buendía había de recordar aquella tarde remota en que su padre lo llevó a conocer el hielo ». Bien des années plus tard face au peloton d’exécution, le colonel Auréliano Buendia, devait se rappeler de cette étrange soirée au cours de laquelle son père l’emmena faire connaissance avec la glace.

LA TRAVERSÉE DES VOIES PÉRILLEUSES

CETTE CINQUIÈME CARTE DORÉE je ne l’ai pas écrite puisque je l’ai imaginée les yeux fermés Maintenant je m’y mets je m’y colle sous la lampe mais aussi j’ai vu en me levant pour mes besoins élémentaires une faible lueur non celle brillante et rosée qui a pour nom l’aurore mais la blanche encore grise : l’aube indécise et voilée, l’aube affaiblie de Verlaine qu’il confond avec la mélancolie des soleils couchants Cette cinquième carte dorée, laurée comme le crâne des poètes honorés d’une couronne de laurier Et me voilà de fil en aiguille hivernant dans ce passé de Jean Bouchet (1476-1557) « le traverseur des voies périlleuses » (c’est ma fille qui me l’a enseigné) Entre profane et sacré, Jean Bouchet, procureur poitevin de profession, se dévoile comme passeur, traverseur, éclaireur du labyrinthe d’un monde secoué par l’humanisme naissant Moi qui ne l’ai pas vraiment étudié, en lisant ses épîtres, je nage en plein bonheur de mes anachronismes, le labyrinthe, les voies périlleuses, les traversées dans un désert poétique qui associe prose et vers, l’ombre portée des Grands Rhétoriqueurs, la rhétorique encomiastique*, les triomphes de la noble et amoureuse dame, où notre auteur du XVI° siècle substitue, dit une étude, la modération, la juste mesure à une rhétorique de l’excès ornemental Un éditeur voyou (ils l’étaient tous à cette époque) publia des pièces de Bouchet qu’il affubla d’un autre nom Le poète juriste en colère fut le premier à intenter le procès d’un auteur contre son éditeur Plusieurs ont dit ainsi comme j’entends Que je perdais à rimasser le temps Mais telles gens ne savent par quel guise Le temps les jours et heures je divise Si j’empruntais en trente ans le séjour Pour composer une seule heure par jour Ne font pas grands le temps et les demeures De dix fois mil neuf cent et cinquante heures ? (je signe cet extrait de Bouchet…les yeux fermés) 1 rhétorique encomiastique : qui concerne la composition, l’écriture ou la prononciation d’éloges (cette poésie d’éloges écrite dans des épîtres se terminait le plus souvent par une demande de soutien du pauvre « poète dépourvu » : lire « les épîtres de requête de Roger de Collerye (1468-1536)

MÉFIEZ-VOUS DES ROSES NOIRES

MÉFIEZ-VOUS DES ROSES NOIRES proclame Robert Le Diable qui écrivit sous le nom de Desnos en 1933 La complainte de Fantômas en vingt six dizains de sept pieds a/b/b/a/c/c Les roses noires n’existent pas Nature ne sait pas faire synthèse de pigments noirs (fût-ce en Turquie où naquit la légende sous le nom de Rose Siyah Gül) Méfiez-vous des veuves noires Il en sort une langueur Épuisante et l’on en meurt La mariée était en noir drame et fil policier sortit en avril 68 avant la marée de Mai des drapeaux noirs Truffaut le jardinier vous propose des vidéos conseils pour prendre soin de vos fleurs de saison : dipladémia, géranium, pensées, œillet, dahlias Truffaut François le réalisateur  adapta le roman Série Noire de William Irish The Bride Wore Black en tordant le scénario du côté de chez l’oncle Alfred (Hitchcock) avec qui il était en train de faire un livre d’entretien Fantômas pour y revenir fit les délices de la Rose Rouge le cabaret germanopratin Les méfaits de notre étrangleur en frac suscita un enthousiasme de cris d’horreurs de croucs-clouic, cric-crac Queneau prenant le relais de son copain Desnos couronna ainsi le tout L’oiseau cru fait cui-cui L’oiseau cuit ne le fait plus

RECOMMENCER TOUJOURS RECOMMENCER

RECOMMENCER TOUJOURS RECOMMENCER Il faut être fou pour croire qu’on peut passer ses nuits à réparer la prose du monde à le recoudre à croire que l’on va rapprocher celui que l’on avait imaginé avec celui que l’on se met en quête d’écrire sur une carte dorée Recommencer de saturer son espace des mots amour, art, bibliothèque, citations, corps, dictionnaire, enfance, esprit, guerre, hamac, hasard, hypnographie, inachevé, jardin, langue, lecteur, lettre, liberté, lignes, lèvres, livres, monde, poème, rêve, temps, texte, vers, vie Comme un vacillement de termes frôlant la fatrasie, l’anachronisme, le caractère purement scriptural de la réalité, sa proésie Je recommence et je redis tout autrement cet « inconscient structuré comme un langage » proféré du haut de sa chaire par le maître de l’esbrouffe pour lui préférer un dessin de Reiser de la même époque genre Gros Déguelasse Recommencer d’apparier les couples magiques sens et son, són y danzón, points et contrepoints, feux et contre-feux De quoi naviguer et divaguer sur la barque de la chanson du Malaimé Sur les écarts et variations de nos complaintes fortunées Écoutez faites silence la joyeuse énumération qui aimante jusqu’au bout ma chanson