À QUOI COMPARER CE MONDE

À quoi comparer ce monde ?                                                 
J’ai perdu les réponses
que je donnais naïf
et sans la moindre ironie.

À quoi comparer ce texte ?
À une barque légère
Qui vogue sur la rivière du ciel
Légère comme la rosée.

À qui comparer celui qui a écrit
-vaille que vaille- cette page ?
Un lecteur a dit : à un pêcheur d’étoiles.
Une lectrice l’a emportée
dans la paume de sa main.

MON MONDE EN MAI 68

Dorio acrylique toile 150×120 cm

JE VOIS LES MOTS

Je vois les mots une fois posés sur la page vierge mais je m’en vois pour qu’ils adviennent et d’ailleurs parfois je ne peux les voir en peinture

À d’autres moments par un heureux hasard les mots font apparaître un monde disparu qui était dans la coulisse

Ainsi la cueillette des simples sur la colline des Martigues qui surplombe ma maison fait apparaître la place aux herbes peinte par Camoin que tant nous admirâmes au musée de l’Annonciade

Je vois les mots au-delà de la mort de celle qui alors m’accompagnait dans le musée de Saint Tropez parce qu’après sa mort je désire que sa grande force lui dure

LE MONDE S’ÉCRABOUILLE

Le mode s’écrabouille, se trucide, se déchire et toi tu continues, ignoré de Balzac et des lecteurs futiles, à produire tes vers de mirliton, faisant tourner à qui mieux mieux ta toton, toupie d’un rituel d’oubli des sinistres réalités.

Oui, mais, aussi, cependant, travailler la métaphore vive, ne pas admettre sa perte, persister dans ce chant baroque des piétinements, basse continue et oxymorons, au grand dam des écrabouilleurs en tout genre, des trucideurs, des faiseurs de guerres infâmes,

Coeur d’amour épris, écrit Matisse fatigué, finissant, en découpant ses papiers de couleur, oiseaux du jazz, signes en verve, manière pour quelques secondes précieuses de réparer les maux du monde, et d’en éloigner jusqu’au bout, les amoureux fervents et les savants austères.

Millau la nuit du 11 juin 2025

NOMMER LE MONDE EST-CE COMME PONDRE UN OEUF ?

Nommer le monde qui nous entoure

Mots à mots qui viennent à la queue leu leu

Page à page où naissent des orages

Sur des volcans devenus vieux

Nommer mélancoliquement la vie devant soi

Pour lire après coup ce qu’on ne savait pas qu’on allait pondre

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première page écrite à propos des clochers de Martinville par l’enfant Marcel anticipant le futur écrivain

Je ne repensai jamais à cette page, mais à ce moment-là, quand, au coin du siège où le cocher du docteur plaçait habituellement dans un panier les volailles qu’il avait achetées au marché de Martinville, j’eus fini de l’écrire, je me trouvai si heureux, je sentais qu’elle m’avait si parfaitement débarrassé de ces clochers et de ce qu’ils cachaient derrière eux, que comme si j’avais été moi-même une poule et si je venais de pondre un œuf, je me mis à chanter à tue-tête.

Marcel Proust Du côté de chez Swann