Sans emphase À ceux qui me lisent avec bienveillance
Michel Butor
J’ai perdu le compte des contes avortés J’ai perdu la llorosa vida – la vie en pleurs – J’ai perdu Amadis et Don Quijote le chevalier à la triste figure Ce petit temps humain passé à écrire sur ces lignes et pages d’écolier Ce petit temps humain qui fait écho aux chansons de l’enfance et du destin Ce petit temps humain pour rire à deux pour le roi de la nuit et trois éléphants rouges Ce petit temps humain qui se décline à l’instant sous la lampe de nuit et les voix de l’Atlas Ce petit temps humain qui fait et défait une vie que l’on voudrait sans fin Les jours abandonnent leur peau comme des serpents Los días abandonan su piel como las culebras* C’est une chanson qui tourne comme la roue de fortune du tío vivo ce manège qui nous emporte jour après jour Mais les enfants sont là qui mangent la lune comme si c’était une cerise Si les fleurs n’étaient que belles sous nos yeux, elles séduiraient encore; mais quelquefois leur parfum entraîne, comme une heureuse condition de l’existence, comme un appel subit, un retour à la vie plus intime.**
*Lorca **Senancour