PROPOS D’UN DESPARAULAT

QUI SOMMES-NOUS ? QUI SUIS-JE ? QUI ÊTES-VOUS ?

Qui sommes-nous ? Qu’est chacun de nous, sinon une combinaison d’expériences, d’informations, de lectures, de rêveries ? Chaque vie est une encyclopédie, une bibliothèque, un inventaire d’objets, un échantillonnage de styles, où tout peut se mêler et se réorganiser de toutes les manières possibles. Italo Calvino

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Nous avons plusieurs identités, dans tous les sens du terme. Une et plurielle. La mienne a commencé dans un petit village de l’Ariège le 24 mars 1945. C’était déjà pour la date, toute une histoire. La petite, comme on dit « la petite famille » et la grande avec sa grande H. (l’Histoire atroce de la seconde guerre mondiale et Hiroshima totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football, le 6 août de la même année).

Pour l’Histoire de la première guerre mondiale, mon grand-père paternel fut tué dès les premiers affrontements en 14 et mon père orphelin, déclaré « pupille de la nation », prisonnier dans une ferme allemande s’en évada dès 1942. S’il avait été repris en route, (il passa par la Hollande, la Belgique, traversa la ligne de démarcation pour atteindre peu à peu le village voisin de ma naissance), je ne serai pas là, à « proser », quasiment quatre-vingt ans après, ces quelques lignes. Ma mère était la fille d’un petit propriétaire terrien, une vingtaine d’hectares, qui devinrent les terres agricoles de mes deux parents, désormais unis et prêts à vivre leur destin de paysans. Je fus leur unique rejeton et comme je réussissais bien à l’école, ils firent le rêve que je serai instituteur. Le rêve se réalisa. J’ajoute une dernière anecdote, sur mes origines 1, elle a trait à la langue parlée. Papa naquit en 1912 dans une ferme où l’on ne parlait pas le français mais l’occitan, la lenga d’oc. Elle lui fut interdite dès qu’il rentra à l’école de la République Française. Puis, croyant bien faire, pour ne pas « contaminer » mes études, je ne fus pas encouragé à la parler à mon tour. Mais mes oreilles traînaient chaque fois, en particulier, que les paysans du coin venaient faire les corvées : vendanges, dépiquages, tuerie du cochon… Si bien que je suis un desparaulat, (sans paroles), quant à son expression, je « l’entends » quand il est encore parlé, de l’Occitanie à la Provence (où j’habite depuis 45 ans) et je suis un lecteur capable de lire les troubadours, par exemple, et, accessoirement, un chanteur de chants traditionnels et modernes en occitan. Ils fleurirent dans la foulée de Mai 68. Mais ceci est une autre histoire.

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4 Comments

  1. Les réflexions de mademoiselle LIA

    Le « je pense » comme acte et comme jeu

    Vous rappelez que « je pense » n’est pas seulement une affirmation abstraite, mais un acte qui « fond le dire et le faire ». Chez vous, penser, c’est peser, soupeser, mais aussi bricoler, jardiner, essuyer. Votre professeur d’Auch avait raison : « Je pense donc j’essuie » — la pensée n’est pas seulement une opération de l’esprit, mais un geste, une trace, une matière. La craie sur le tableau noir, les fiches de poèmes, les senteurs de la campagne… Tout cela fait partie de votre pensée en acte.

    Penser contre les -istes

    Vous revendiquez une pensée sans maître, sans doctrine, sans étiquette. Pas de -iste pour vous enfermer. Votre apprentissage est fait de « bric et de broc », de terre et de livres, de rêves de paysans et de craie d’école normale. Vous avez échappé à la meute des doctrinaires parce que votre pensée s’est nourrie d’abord de la vie, des mots qui résonnent, des images qui restent.

    L’héritage et la fierté (ou son absence)

    Vous parlez de vos parents, ces « derniers des paysans », qui ont rêvé pour vous d’une vie d’instituteur. Pas de fierté ostentatoire, pas de rage du transfuge — juste la reconnaissance d’un désir qui vous a porté, d’un héritage qui vous a fait sans vous écraser. Vous n’êtes pas Annie Ernaux, et vous ne cherchez pas à l’être. Votre fierté, si fierté il y a, est discrète, presque silencieuse, comme ces chants occitans que vous entendez sans toujours les dire.

    La pensée comme jardin, comme massif, comme chevet

    Votre pensée est un jardin, une « jardinière », un massif où poussent les mots, les souvenirs, les citations. Elle est aussi ce livre de chevet, ce lieu où l’on pose sa tête pour rêver, pour oublier, pour laisser venir les vers de Ronsard ou les images de la campagne. La pensée, chez vous, n’est pas un système, mais un paysage — un paysage habité, cultivé, où l’on peut s’allonger et écouter « le bruit de l’onde ».

    J’aime

  2. L’écriture que j’aime et pratique quotidiennement associée à mes lectures ne me permet pas de « résumer ce que penser signifie pour moi » c’est un parcours de « soi-même comme un autre » et seule la fin, à condition qu’elle soit celle d’un homme toujours capable, et non anéanti par la souffrance, dira, ou plutôt suggérera le fin mot…Inachèvement ?

    Sous l’histoire la mémoire et l’oubli

    Sous la mémoire et l’oubli la vie

    Mais écrire la vie est une autre histoire

    Inachèvement

    Paul Ricœur

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  3. « Maintenant, dans ce village,

    il y a un coffre plein de manuscrits

    de l’un des nombreux enfants poètes. »

    Pier-Paolo Pasolini

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