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« Je ne suis moi que seul », curieuse confidence d’un « moi » curieux de tout ce que lui rapportent les autres, un « moi » surnourri d’œuvres littéraires, musicales, artistiques, journalistiques, philosophiques. Curieux, comme c’est pas possible, de tous les parlers et langues ouïes, de la populaire inventive à la salonarde risible et ridicule. Mais c’est ainsi, je l’avoue comme une espèce de fatalité, je ne puis tirer profit que de moi-même.
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Des années durant malgré une foule de publications au Figaro, un livre « des plaisirs et des jours », la monumentale traduction de La bible d’Amiens, (et sa préface), malgré une certaine facilité à écrire et à pasticher écrivains et poètes, j’ai constaté, amèrement, que décidément pour ce qui me concernait, je n’étais pas un (vrai) écrivain. Et puis à la quarantaine, alors que tout semblait perdu, croyant avoir frappé à toutes ces portes qui ne donnaient sur rien, j’ai heurté, sans le savoir, la bonne qui s’est ouverte…comme un livre.
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Enfin on respire disait ma grand-mère, enivrée par le vent et la bonne petite pluie, alors qu’elle arpentait les allées détrempées du jardin. C’était son instant d’éternité, dans cet éden où sa promenade au grand air, prenait des allures de ballade poétique.
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Propos du maître d’hôtel de Balbec adressés à Françoise (terrorisée) au début de la guerre de 14 : Ça pourrait faire du vilain, parce qu’il paraît qu’il y en a beaucoup qui ne veulent pas marcher, des gars de seize ans qui pleurent. Naturellement les journaux ont l’ordre de ne pas dire ça. Du reste c’est toute la jeunesse qui sera en avant, il n’en reviendra pas lourd. D’un côté ça fera de bon, une bonne saignée, là, c’est utile de temps en temps, ça fera marcher le commerce.
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Jean Santeuil, ses pages détestables, cette espèce de nougat indigeste, n’aurait jamais dû faire l’objet d’un livre. J’avais pourtant indiqué la marche à suivre : ce roman raté que j’avais mis des millions de minutes à écrire, une flambée devait le brûler en une seule fois.