AUGUSTE RETRAITE QUE RIEN NE T’ARRÊTE

QUE RIEN NE T’ARRÊTE AUGUSTE RETRAITE

-Alors, qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? – J’ai beaucoup écrit sur différents formats, de diverses manières, multiples inspirations. Écrire est avant tout une pratique : explication, exécution, mise en action des règles, des principes d’une science, d’une technique d’un art, par opposition à la théorie. Et plus particulièrement l’art en question, l’Écriture, a besoin de ce petit instrument fragile et subtil, naguère un porte-plume, aujourd’hui, en ce qui me concerne, une pointe fine, qui réclame qu’on la manipule avec légèreté. Une pratique sans intention préalable de rencontrer un lecteur, si ce n’est le lecteur de soi-même Proust, exerçant un rituel d’actes répétés aboutissant à une page dont la reprise le lendemain depuis le clavier de l’ordinateur, donnera une nouvelle copie, « au propre » désormais, tant la conversion numérique facilite la tâche. (Entre parenthèse, quel plaisir ce fut d’acheter ma première machine à écrire et que de ratages, de cris et de chuchotements, quand les touches se coinçaient, les rubans se déchiraient.) -Allez, trêve de mise en perspective, donne-moi s’il te plaît, une petit bout de texte qui est sorti de ta pratique. –Retour en grâce du stylo qui écrit tout seul sur la grande page de l’insomnie heureuse, dans un temps qui paraît continu mais qui n’est que sauts et gambades (…) en parlant ainsi au papier ma main que Nature a fait vieillir se donne l’illusion d’un retour à Jeunesse « Je me suis dit laisse Et qu’on ne te voie Et sans la promesse De plus hautes joies Que rien ne t’arrête Auguste retraite Rimbaud Chanson de la plus haute tour

CINQ NOUVELLES PROUSTIENNES

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Dans l’œil de mes contemporain.e.s, je fus tour à tour et simultanément : extatique et rêveur, jeune et joli garçon* de lettres, insecte atroce aux yeux de biche, de rossignol du Japon ou (au choix) comme de la laque japonaise , entouré de lainages comme un bibelot chinois, ayant l’air d’une dame juive qui aurait été belle, l’air plus malade que jamais, le dos voûté, le thorax rentré, un peu hagard, éperdu, d’aspect incongru mais charmant, descendant de son rêve comme un aviateur embrouillardé qui hésite à atterrir (la suite au prochain numéro) * pour ne pas nuire à la réputation de cette écrivaine streaptiseuse j’ai biffé le mot « youpin »

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Seuls ceux (ou celles ) qui utilisent des verres grossissants (achetés de préférence à l’opticien de Combray) seront en mesure de lire mon livre, devenant par cet artifice, réellement les lecteurs d’eux-mêmes , les lectrices d’elles-mêmes.

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Beaucoup de labeur d’écriture, tel le laboureur traçant inlassablement ses sillons, me donne le bonheur d’une vie réalisée, en somme, dans un livre. (note : le laboureur use son aiguillon pour piquer ses bœufs, mon aiguillon à moi est celui du Temps sous toutes ses formes)

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À la recherche du temps perdu est, à n’en pas douter, cette cathédrale baroque conçue minutieusement avec de perpétuels regroupements de forces, par un architecte, qui posa sa première page écrite en 1907 (le jour est inconnu) et la construisit, nuit après nuit, jusqu’à sa dernière phrase dictée dans la nuit du 18 novembre 1922. Depuis lors, telle la Sagrada Familia de Barcelone, la cathédrale Proust, authentique Tour de Babel du Temps perdu et du Temps retrouvé, continue sa croissance, alimentée par ses lecteurs et ses lectrices du Monde entier.

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Ce narrateur, « créateur absent » puisqu’il n’est pas une créature de son œuvre, nous a donné le mode d’emploi de sa création : il faut préparer son grand œuvre minutieusement, le concevoir dans ses grandes lignes, puis se mettre à la tâche poussé par l’aiguillon du Temps, l’écrire chaque nuit et beaucoup de nuits (mille et une étant l’idéal), sur des cahiers d’écoliers de 96 pages (en prévoir, en visant large, une quarantaine),  vivant dans l’anxiété de savoir si le Maître des Horloges sursoira à notre arrêt de mort, nous permettant de reprendre la suite la nuit prochaine.

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi