LITANIE DE L’OUBLI

Oublier ? S’oublier ? vraiment sur le papier on a fait vingt fois l’essai Mais ma mère elle est toujours là ! criait Colette Magny Oublier que l’on vit ici et maintenant hic et nunc c’est le hic le hakka d’avant-match où l’on insulte l’adversaire qui durant cette parade nous oublie Oublier S’oublier ainsi sur cette page où l’on piste les petits riens qui font progresser le texte à saut de puces qui donnent un coup de pouce à l’ éternel présent Oublier S’oublier dans les livres silencieux qui font le tour de ma bibliothèque tantôt sur la planche poésie où le pampre à la rose s’allie 1 tantôt sur les planches où se mêlent théâtre et philosophie le monde entier est un théâtre et nous qui en sommes les acteurs y jouons plusieurs rôles 2  tantôt sur les planches au carrefour du burlesque et du « burn out » le monde entier est un cactus aïe aïe aïe ouille !3 sans oublier les planches vides des livres refusés par monsieur le directeur de la collection Fiction & Cie qui n’est pas « convaincu », dit-il, de me faire franchir le Seuil de son auguste maison Oublier S’oublier ça vient vraiment d’arriver au narrateur arrimé à la parure de ce corps entouré de sa toilette, comme de l’appareil délicat et spiritualisé d’une civilisation 4  (oui il s’agit d’Odette héroïne d’un « amour de Swann ») Il s’agit de plonger dans le fleuve Léthé pour se désencombrer l’esprit de nos luttes fécondes Oublier S’oublier au rythme d’un cœur qui bat par intermittences systole diastole qui recyclent silences et fictions S’oublier Oublier le trou de mémoire de l’acteur Bouquet jouant Pozzo l’esclave au discours délirant sur la scène du Palais des Papes le 16 juillet 1978 5 (je m’en souviens comme si c’était hier) S’oublier Oublier notre dernier rêve « Une aumône protecteur des Fables nous demande le mendiant sorti des Mille et une Nuits On ne sait que lui dire on ne sait que lui donner la main tétanisée Et la suite du rêve nous l’avons oublié

1 NERVAL 2 SHAKESPEARE 3 PROUST 4 DUTRONC/LANZMANN    5 BECKET En attendant Godot

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

COMPOSTELLE





Je n’ai pas fait le chemin de Compostelle

Avec un solide gourdin pour éloigner les chiens.





Je n’ai pas été jongleur, marionnettiste,

Encore moins dompteur de puces ou artiste.





Je n’ai pas fait mes classes de conscrit

Ni joué de l’orgue de Barbarie.





Je n’ai pas connu le zouave du pont de l’Alma

Ni fait le compte de mes joies et de mes peines

Sous le pont Mirabeau de Guillaume Apollinaire.





Je n’ai pas fauché le vent

Comme le jardinier des Misérables.





Je n’ai pas planté mes choux dans « mon jardin imparfait,

nonchalant d’Elle » : la mort, la mort, toujours recommencée.





Je n’ai pas écrit de sonnets pour Cassandre,

Ni de recueils de vers pour « les oreilles d’Amarante. »





Je n’ai pas écrit Paroles ni Les Amours jaunes

Mais cette litanie,

Oui.





Montaigne pour son « jardin imparfait »,

Pierre de Marbœuf pour « Les oreilles d’Amarante »

et quelques autres faiseurs de rimes et de proses.