OUVERTURE/ SAPIENTIA/SÉRENDIPITÉ/





SAPIENTIA

C’est, naturellement, le meilleur rappel de Roland Barthes. Les derniers mots prononcés le 7 janvier 1977, pour sa « leçon inaugurale de la chaire de Sémiologie littéraire du Collège de France ». C’était un vendredi, je buvais ses paroles « comme un extravagant », seul dans ma pièce mythique d’Ancizan, cheminée immense surélevée en briques rouges et petite fenêtre ornée du XVI° siècle, donnant sur la place, où passaient les vaches de mon voisin, déposant souvent au-devant de ma porte, leurs bouses sacrées. Je me souviens, que pendant que j’écoutais et enregistrais le grain de voix du « maître », il neigeotait au dehors. Mais j’étais pris par une sorte d’ivresse baudelairienne. « Cette expérience a, je crois, un nom illustre et démodé, que j’oserai prendre ici sans complexe, au carrefour même de son étymologie : Sapientia : nul pouvoir, un peu de savoir, un peu de sagesse, et le plus de saveur possible. ».





SÉRENDIPITÉ

Je l’ai toujours pratiquée sans le savoir. On ne trouve vraiment que ce que l’on ne cherchait pas. Dans mes bricollages, assemblages disparates, patchwork in progress, j’ai toujours été attentif et « flottant », poursuivant sans cesse mes brouillons et bouillons de textes qui s’écrivent à mesure qu’ils se lisent, et qu’ils lisent les textes dérangeant  toute littérature. Et puis, par un heureux hasard,  une ligne obscure imprévue vient au secours de « l’urgence du jour ». L’exercice de nuit, ouvre le pas soudain à une formule qui exalte le corps de l’esprit. Un éclair fugitif, comme écrit Baudelaire, « à une passante ». Puis tout retombe. On continue à cheminer dans le royaume de Serendip, praticien d’une bibliothèque où l’on chemine, en alerte, les yeux fermés, « un mot pour un autre » nous révélant par surprise « le sentiment des choses ».





OUVERTURE

Sans commentaires ni repentirs Je livre ici cette somme Bien maigre en vérité Plutôt somme que somme Songes d’une vie ordinaire Avec ses joies et ses peines Son métier de professeur parmi les mômes Rude à faire passer parce que trop nombreux écartés de la culture dite générale et des programmes à inculquer Une vie en boucle en billes qui roulent de haut en bas dans des rails contournés Une vie d’écritures mêlées de grâce et de disgrâces occupant sans obligation les nuits de pleins soleils et de mort annoncée Un corps en absence avec ses lettres mortes ou la présence de ses encres vives Ni commentaires ni repentirs ni adresses aux lecteurs comme l’auteur des Essais, qui, par aimable ruse, faisait accroire au lecteur que son livre ne le concernait pas, puisque sa « fin, (n’était que) domestique et privée ». J’abrège et laisse la parole à Pierre Bayle, que le hasard fin naître, trois cent ans avant, dans un village voisin du mien : mes écrits ne contiennent aucune certitude qui me satisfasse à moi-même, aussi ne fais-je pas profession de savoir la vérité ni d’y atteindre…j’ouvre les choses plutôt que je les découvre.





UN DICTIONNAIRE À PART MOI
Trois articles

PAS DE QUOI EN FAIRE UN POÈME





Alors reste la main

la muette qui cherche

sur la portée des mots

la note juste de l’instant

Jacqueline Saint-Jean

Solstice du silence

Editions Alcyone





Pas de quoi en faire un poème

me dit l’empereur philosophe :

Écrire ses pensées chaque jour

était un de ses dadas.





Pas de quoi en faire un poème :

Bientôt tu auras tout oublié !

Bientôt tous t’auront oublié !*

*Marc Aurèle





Pas de quoi en faire un poème ?

Je sais bien mais quand même

Sans pouvoir et sans pensée particulière

J’essaie de le faire ce poème





Unique et sans chichis

Il m’oblige à déployer

Les formes imaginatives

Qui font le corps d’un texte

En perpétuel mouvement





Je l’écris ce poème

Vers le haut vers le bas

Je l’écris à la lettre

Allant de l’une à l’autre





C’est un texte plutôt

Encore à parfaire

Mais qui en sa première version

se déploie ainsi :





le fil d’amour des poèmes

que je lis et relie sans cesse

à ce que j’essaie de faire au mieux

en jetant au panier le pire





la boîte à outils de mes lectures

qui m’ouvrent à l’inconnu

à la sérendipité

au rejet des grands maîtres

de systèmes toujours mâles

et toujours dominants





le fil d’amour de mes sorcières

comme les autres*

qui ont l’art de tisser des savoirs

des délivrances éphémères

mais que d’autres espèrent-elles

prolongeront





*Anne Sylvestre