AQUÉL
Avec cet homme-là que j’ai repris comme livre de chevet – je veux dire ses « œuvres » (un mot dont lui qui entra de son vivant dans la Pléiade, se défiait) – il n’est pas simple de faire, (en le lisant), des reprises de feu (en écrivant), tant il perd son lecteur dans des vers « voués à l’inutile », avec sa manie d’agencer ( fût-ce en hendécasyllabes, son vers fétiche), « oubli des dates et des noms », « souvenirs en lambeaux », et ses postures d’ « homme de verre », (selon un de ses traducteurs) : celui qui fatigue ses miroirs d’images sur images, et à l’opposé, d’homme de carne y hueso (en chair et en os) selon l’expression du philosophe du « sentiment tragique de la vie », son aîné de la génération précédente (25 années les séparaient).
Mais, en même temps, pourvu que l’on oublie qui on est et le nom de qui on lit, cet homme-là, est une ressource infinie, pour ceux qui s’adonnent au goût baroque des « simples miscellanées » (qui en savent plus long que quiconque), analectes et mélanges, citations inventées ou dûment répertoriées, diversions jouissives dans des Encyclopédies que personne plus ne lit.
Cet homme-là ? Peut-être moi, sûrement toi, si tu t’es reconnu.e dans ce texte inexistant mais qui te résiste, qui te donne envie de le retisser, de recoudre ses souvenirs en lambeaux, de retrouver dates et noms, et surtout de dire adieu au genre « exclusivement masculin », dont abusa, sans paraître s’en rendre compte, cet écrivain à qui « les dieux donnèrent un corps…qui n’eut pas de fils ».1
- Oh días consagrados al inútil empeño de olvidar la biografía de un poeta menor del hemisferio austral, a quien los hados o los astros dieron un cuerpo que no déjà un hijo…
Ô tous ces jours voués à l’inutile effort d’oublier la biographie d’un poète mineur de l’hémisphère austral, à qui le destin ou les astres donnèrent un corps qui n’eut pas de fils…
(ma traduction.) J’ai transformé « la manie des hendécasyllabes » de ce poète majeur (qui confondait à dessein « majeur » et « mineur ») , en prose poétique, disposée, comme il se doit, horizontalement.
Borges (Aquél) un poème du recueil La Cifra (Le chiffre) publié en 1981 La traduction du titre transformant « Celui-là » en « Cet homme-là » est dûe à Claude Esteban (1935-2006)
https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi
De carne y hueso
Un péndulo de carne y hueso
toca el abecedario.
Las nubes respiran en los cajones.
Una escalera de mano sube por una escalera
de mano y lleva a la espalda
a la mujer escalera.
El espacio está sobre aviso.
Ya no duerme como la leche.
Se columpia en la lengua
de un recuerdo piadoso.
El espacio está bien lavado.
La desnudez de una cruz
la descripción de una lágrima
la descripción de una gota de sangre
en una gruta de carne y hueso.
En el plano ruidoso de nuestro siglo
un cordelito perdido
se pone a contarnos
que sirvió para hacer bailar
pirámides de carne y hueso
sobre sus vértices
como peonzas.
Dame de tus montes,
tienes más de mil.
Yo te daré a cambio
viento y porcelana de viento.
Te daré árboles mutilados
con manos de puntillas.
Te daré una corona de carne y hueso
y un gran sombrero lleno de miel.
Te daré además
uno de mis jardineros
que me riega de día y de noche.
Jean Arp (un artiste complet)
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