Comment un livre de poèmes a engendré l’écriture de ces pages
À RAS
Jean-Marie Corbusier
Edition Le Taillis Pré
Décembre 2023
J’ai lu une fois À RAS le dernier opus de Jean-Marie Corbusier sans prendre la moindre note.
Toutes ces pages, une à une, et aussi la lecture des pages en vis-à-vis, qui procurent quelques « chocs verbaux » salutaires.
Puis, relisant, « à sauts et à gambades », j’ai effacé le côté désespérant de certains passages (Chanter/dans le vide des présences/faire semblant),
pour m’attacher au côté « allant », stimulant (Le mot frappé d’innocence/ défait à l’usage/ je l’aurai traversé).
Et puis soudain, surtout, la disposition et le rythme de chaque page m’a inspiré.
Je me suis souvenu alors du meilleur Éluard 1 et me suis lancé à mon tour dans une écriture, page à page,
« où la mémoire ardente se consume, pour recréer un délire sans passé » 1
1 Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poètes ont toujours de grandes marges blanches,
de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé.
Paul Éluard
Cher Jean Jacques,
Merci pour ce montage poétique qui rassemble où les poèmes se donnent les uns aux autres dans leur humilité respective.
Les poètes ont trop tendance à se figer dans leur moi et leur solitude.
Ici, tu les obliges à sortir d'eux-mêmes, à s'aventurer vers l'autre, le différent et le même.
Amitiés.
Jean-Marie Corbusier
1
JE ME SUIS PERDU
cette nuit
corps et âme
Aussi j’ai besoin
de l’écrire
de faire
cette expérience
de pensée
Sur la page
d’une tabula rasa
À ras
Pour repartir
d’un bon pied
2
Ce que j’écris me précède
Jean-Marie Corbusier
À Ras
CE QUE J’ÉCRIS
me renouvelle
m’éparpille
m’étincelle
Mais la page
veille
Son rythme
Sa présence
Sa passe
Son transfert
Et l’appel
des marges
3
Sans me retourner
Jean-Marie Corbusier
À Ras
SANS ME RETOURNER
le passé aboli
les pas d’Orphée
mais sans les cris
d’Eurydice
Ma lyre est
ma guitare sèche
d’où sortent
des chansons
enregistrées
au Petit Mas
Mes pages
de partitions
multiplient
les accords renversés
et battent toujours
la chamade
4
NOS QUOTIDIENS
passent
peu ou prou
dans l’indifférence
ou l’échange vif
le feu en nous
ou les contes glacés
une page blanche
ou quelques paragraphes
posés
sur nos journaux intimes
5
LAISSEZ-VOUS BERCER
par cette page
Elle est à naître
je le sais bien
Mais vous l’adresser
Facilite son écriture
Vous la lirez
à vos moments perdus
Et puis la page
Essaimera
Ou redeviendra
blanche
6
MARQUER SON TEMPS
sur une page
où l’on ébauche
un poème
une esquisse
comme celle d’un sourire
dit-on
sans hâte
et en silence
et sans prise
de tête
sauter
de ligne en ligne
sans fin
7
JE T’AI À L’ŒIL
me dit
la page blanche
une voix intérieure
intimidante
à l’œil ?
mon œil !
lumière blanche
lumière noire
un éclair
et ma page
elle n’y voit
que du bleu
8
IL FAUT RECOMMENCER
Autour de minuit
Échanger nos silences
Par une page
Écrite en aveugle
Noter
Au plus profond
De soi
Ces quelques minutes
Où l’on parle au papier
Comme si l’on y croyait
Pour l’éternité
9
OÙ RESPIRER?
Mais dans le poème
Aérien
Libéré
Des tracas
Et des peines
La main
Sur le papier
La page écrite
Pour durer
Ou disparaître
10
ICI
C’est aussi
ailleurs
« En Arles
Où sont les Alyscamps »
À Montmartre
le soir
Dans la demi-brume
A Londres
Ici
Sur les pages
d’une anthologie
personnelle
Où l’on prend garde
de ne pas succomber
à la douceur des choses 1
1 Paul-Jean Toulet
Martigues dimanche 17 mars 2024
11
J’ÉCRIS AUX AURORES
à jeun
dans mon lit
Une mésange
vient frapper
au carreau
Quelle nouvelle
m’apporte-t-elle
de bon matin ?
J’imagine le pire
Mais sur ma page
« poussière de lune »
J’écris :
La journée sera belle
Vendredi 15 mars 2024 8h08
12
UNE DERNIÈRE PAGE
Apaisée
La forme
avec joie épousée
s’est peu à peu
épuisée
Inutile dès lors
de se triturer
les méninges
d’ajouter une pièce
dans la machine
(à faire ces poèmes
à ras bord)
On ferme
Martigues samedi 16 mars 2024