NOUS LES HUMBLES

Il n’y a pas de rime en -umble

Nous les humbles

C’est bien simple

On nous met jamais en chanson

Disait Jean-Roger Caussimon

Il chantait Les cœurs purs

Monsieur William Comme à Ostende

Et le temps du tango

Ferré y ajoutait son piano

Depuis leur époque la chanson française

Elle a reçu bien des coups sur la figure

Mais elle a la peau dure

CHANSON ORPHELINE

On ne sait pourquoi

On commence ainsi

Comme un soleil  noir

Sur l’esprit saisi

Par l’aile fugitive

D’une chauve-souris

On ne sait pourquoi

Sur le vide acquis

Tourne une chanson

À l’air incertain

Qu’une voix sussure

Au cœur de la nuit

Chanson orpheline

Qui attend son heure

L’air d’un musicien

La voix qui en secret

Monte puis décline

Et à l’aube disparaît

On ne sait pourquoi

On ne sait pourquoi

DE LA DIFFICULTÉ DE COMMENCER QUAND TOUT VA FINIR

Je me lance enfin dans le texte du jour après avoir raturé trois esquisses

S’il est ainsi difficile de commencer imaginez ce que ce sera de finir ai-je lu hier

C’est un livre sur la fin de toutes choses et en particulier sur les dernières œuvres d’un artiste ou la dernière prestation d’un sportif de haut niveau

L’équilibre précaire avant l’effondrement

Pourtant rien de funèbre et même de mon point de vue une certaine jouissance prophétique

(Je laisse mes lecteurs en juger)

Je suis chaque nom de l’histoire dit l’un, avant de se jeter à  Turin au cou d’un cheval battu et de plonger dans la folie (traduit de l’allemand)

Ce n’est pas la fin Nous nous recroiserons un jour ou l’autre sur l’avenue chante un second dans une version du Tangled Up in Blue  (traduit de l’américain)

Je suis né une année incertaine et les siècles m’encerclent de feu écrit le troisième depuis un camp de déportation (traduit du russe)

Voici pour cette nuit trois présents à méditer

Je les ai transcrits depuis ma chambre blanche dans un grand lit où ma morte en souriant se retourne et me dit :

Que veux-tu sans toi que je devienne ? Ouvre les volets le jour sort des ténèbres !

(longtemps après)

On ne résiste pas à ce dernier ajout proustien, lu sur les voûtes de Saint Marc à  Venise, qui n’est rien moins que l’évocation  de « l’éternel retour » :

Car tout doit revenir, comme il est écrit aux voûtes de Saint-Marc, et comme le proclament, buvant aux urnes de marbre et de jaspe des chapiteaux byzantins, les oiseaux qui signifient à la fois la mort et la résurrection.

SUR UN VERS DE PÉTRARQUE

Veggio senza occhi
Je n’ai pas d’yeux mais je vois
(les yeux fermés)
Et non o lingua et grido
Je n’ai pas de langue
Mais je crie
Je n’ai pas de plume
Mais j’écris
Avec ce petit feu
Qui me brûle les doigts
et s’étend sous ma peau
Mot à mot
Et qui parfois
(à de rares exceptions)
Fait poème

Chi po dir com'egli arde  e'n picciol foco
Qui peut dire comme il brûle c'est d'un feu tout petit

ALEXANDRINS BÉBÊTES

Le temps de calculer voilà l’alexandrin
Pas très malin j’avoue c’est le temps des copains
Comme chantaient naguère les yéyés de Françoise
En tricotant des vers plutôt nuls mais qui croisent
Le temps de l’amour bébête de nos quinze ans

paroles Maurice Vidalin musique Gilbert Bécaud enregistrement 1960