OBSCURE FOURNAISE

chaîne pyrénéenne vue du plateau de Lannemezan 13/11/2023 18h29

une réplique tableau 40×30 cm 19h

une deuxième réplique 20h

Terre noire
Ciel en feu
Couve la menace
Et les hommes
Où sont-ils
Que font-ils
Ils font de même
Fournaise obscure
La guerre et la paix

Fournaise obscure est un livre du poète Gérald Neveu (1921-1960)
"La poésie c'est de sortir de soi pour y faire entrer les autres"
La photographie a été prise par Danielle Nabonne à 18h28 (13/11/2023)
Envoyée à JJ Dorio qui a fait les 2 tableaux (en réplique)
Le poème est de Danielle et de JJ

UNE NOUVELLE HÉSITANTE

UNE NOUVELLE HÉSITANTE

Entre Séville et Grenade

Cette fois le choc des coïncidences t’entraîne à Grenade (si, en su Granada, comme dit un poème dédié à Federico García Lorca). Une dame à l’ancienne, avec une mantille de dentelle noire sur les cheveux, te montre ses travaux de broderies, qu’elle fit, faute de mieux, en attendant « son homme », le futur mari qui lui était destiné. Peut-être parce que tu apparais curieux, intéressé, elle détaille pour toi les mille et un motifs de fleurs, les points de croix, les initiales de noms et de prénoms entrelacés. Mais tu n’oses pas lui demander ce qu’elle en pense vraiment quarante ans après. Ce qu’elle pense de cette servitude volontaire; elle cousant, brodant en attendant de faire don de sa virginité, lui, la rencontrant de temps en temps, en tout bien tout honneur, faisant sérieusement ses études de médecine, mais, les choses étant ce qu’elles sont, courant avec quelques amis les bordels, après avoir fait le tour des bars à tapas, où l’on se raconte l’une après l’autre des histoires de sexe à mourir de rire. Une virée dans l’air du temps de cette Espagne franquiste du sabre et du goupillon.

De Grenade à Séville, il n’y a qu’une chanson légère de Iolanda Gigliotti alias Dalida, où l’on retrouve mantilles, « des yeux noirs qui pétillent », « par-dessus la charmille ». Toi, tu as découvert Sevilla, la maravilla, en pleine semaine sainte. Mais loin de te réjouir, les défilés d’encapuchados à la mode Ku Klux Klan, t’avaient glacé. Au son des tambours et des trompettes militaires, tu avais ressenti une véritable terreur. C’étaient des morts vivants qui portaient le fardeau d’un Jésus (Réssous) crucifié et d’une Vierge dolorosa, des Douleurs.

À ce moment du récit, tu t’aperçois que tu t’es engagé sur une mauvaise voie, les Stations, la Passion, ces restes de religion dolente, vulgairement parlant, c’est pas ton truc (à plume !) Tu aurais dû rester à Granada, toute une nuit où l’on boit de la manzanilla, (un vin très sec et doré), en écoutant le chant profond d’une guitare gitane : voy como ayer gitana, murerte mía, por estos aires de Granada, mi Granada Machado hommage à Lorca « Aujourd’hui comme hier, promenant ma mort gitane, dans l’air de Grenade, de ma Grenade ».

UNE NOUVELLE D’UNE NOUVELLE et d’un petit poème en prose

UNE NOUVELLE QUI T’EMBALLE

Le cours des choses. Ce qui les détermine. Un rien.

Antonio Tabucchi

Tu es en train de lire une nouvelle qui t’emballe. C’est une nouvelle qui ressemble à une rêverie éveillée. Celui ou celle qui la raconte -on ne sait pas très bien- te persuade que toi aussi tu as vécu, jadis, naguère, on ne sait par quelle coïncidence, les mêmes événements.

Ça a été d’abord une nuit de pleine lune, une chanson péruvienne chantée par une voix de cholita suraiguë, accompagnée à la harpe criolla ; une voix sortie d’un petit bar situé sur la Plaza de Armas de Cusco. Tu te souviens, c’était un 22 juin, le solstice d’hiver dans l’hémisphère sud. Tu avais assisté dans l’après-midi à la grande fête de l’Inti Raymi, la fête du dieu Soleil des Incas. C’était dans la forteresse aux pierres dressées gigantesques de Sacsayuamán. Pour ne pas en perdre une, tes cinq sens étaient en éveil stimulés par quelques feuilles de coca. Mais c’est le soir, avant la nuit passée dans le petit bar du Rincón, le nom te revient à présent, qu’un événement extraordinaire, qui t’a marqué pour la vie, s’était déroulé. La foule en liesse amassée auprès de l’estrade attendait en vain la fin du discours d’un préfet ivre de paroles qui les haranguait. Les indios, cholos y cholitas, étaient venus pour danser au son du charango (carapace de tatou), de la harpe et du pututo (un grand coquillage faisant office de trompe marine). Et soudain, en un instant, ils t’avaient, toi le francesito, hissé au niveau du beau parleur, qui, surpris, t’avait entendu dire : Por favor señor, acaba con su discurso, la gente quiere bailar, gozar del momento. Et, increible, il t’avait regardé sans broncher, ne t’avait pas fait arrêter par ses policiers, et avait abrégé son discours.

Le second événement s’était déroulé un 22 septembre, le jour de notre équinoxe marquant le début de l’automne. Ce n’était plus par conséquent au Pérou, mais dans une ville de notre vieux continent, à l’embouchure d’un fleuve qui se jette dans l’Océan. Ce soir- là l’eau tirait sur le jaune, comme les amours d’un certain poète maudit, qu’il écrivit, dit-il, à coups de raccrocs : « par un heureux hasard » précise le dictionnaire.  Dis-moi mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d’habiter Lisbonne ? Il doit y faire chaud et tu t’y ragaillardirais comme un lézard. C’est ce passage lu qui était à l’origine de ta présence à Lisboa. Tu l’avais souligné dans la rubrique du quotidien qui donnait un poème à lire par jour, sans nom d’auteur, pour laisser au lecteur le soin de le chercher (le nom était dévoilé le lendemain). Une phrase perdue dans ce monde plein de phrases, de villes, de visages et de poètes désemparés questionnant leur for intérieur. Le moteur ici, l’inducteur, était la question posée à « l’âme » qui ne pouvait tenir en place. Où donc, en quel lieu, trouverait-elle un peu de paix ? Elle rechignait à répondre, mais à la fin, inspirée par un philosophe des Amériques, elle lâchait : Any where out of the world ! Charles Baudelaire, puisque c’est de lui qu’il s’agit, finissait ce petit poème en prose par sa traduction : « N’importe où, pourvu que ce soit hors de ce monde ».

C’était en 1968, tu t’en souviens, au printemps ton cœur, avec des millions d’autres, à l’unisson, avait battu la chamade. Et maintenant, loin des camarades, tu avais besoin de te reprendre, faire le vide, n’importe où, pourvu que ce soit dans un lieu, ville, village, oasis, désert, n’importe où pourvu que ce soit dans un monde où tu connaîtrais une heure heureuse : une heure immobile qui n’est pas indiquée sur le cadran, et pourtant légère comme un soupir, rapide comme un coup d’œil.  « un’ora immobile che non è segnata sul quadrantre, e tuttavia leggera come un sospiro, rapida come un colpo d’occhio. » Antonio Tabucchi Any where out of the world

Jean Jacques Dorio

09/11/2023

après lecture une lectrice amie me propose ce léger toilettage

        NOUVELLE D’UNE NOUVELLE   

Le cours des choses. Ce qui les détermine. Un rien.

Antonio Tabucchi

 C’est une nouvelle qui ressemble à une rêverie éveillée. Celui ou celle qui la raconte -on ne sait pas très bien- te persuade que toi aussi tu as vécu, jadis, on ne sait par quelle coïncidence, les mêmes événements.

Ça a été d’abord une nuit de pleine lune, une chanson péruvienne chantée par une voix de cholita suraiguë, accompagnée à la harpe criolla; une voix sortie d’un petit bar situé sur la Plaza de Armas  de Cusco. Tu te souviens, c’était un 22 juin, le solstice d’hiver dans l’hémisphère sud. Tu avais assisté dans l’après-midi à la grande fête de l’Inti Raymi, la fête du dieu Soleil des Incas. C’était dans la forteresse aux pierres dressées gigantesques deSacsayuamán. Pour ne pas en perdre une, tes cinq sens étaient en éveil stimulés par quelques feuilles de coca. Mais c’est le soir, avant la nuit passée dans le petit bar du Rincón, le nom te revient à présent, qu’un événement qui t’a marqué pour la vie s’était déroulé. La foule en liesse amassée auprès de l’estrade attendait en vain la fin du discours d’un préfet ivre de paroles qui les haranguait. Lesindios, cholos y cholitas, étaient venus pour danser au son du charango en carapace de tatou), de la harpe et du pututo, ce grand coquillage faisant office de trompe marine. Et soudain ils t’avaient, toi le francesito, hissé au niveau du beau parleur, qui, surpris, t’avait entendu dire : Por favor señor, acaba con su discurso, la gente quiere bailar, gozar del momento. Il t’avait regardé sans broncher, ne t’avait pas fait arrêter par ses policiers, et avait abrégé son discours.

Le second événement s’était déroulé un 22 septembre, le jour de notre équinoxe marquant le début de l’automne. Ce n’était plus par conséquent au Pérou, mais dans une ville de notre vieux continent, à l’embouchure d’un fleuve qui se jette dans l’Océan. Ce soir- là l’eau tirait sur le jaune, comme les amours d’un certain poète maudit, qu’il écrivit, dit-il, à coups de raccrocs :

Dis-moi mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d’habiter Lisbonne? Il doit y faire chaud et tu t’y ragaillardirais comme un lézard.C’est ce passage  qui était à l’origine de ta présence à Lisboa; Tu l’avais souligné dans la rubrique du quotidien qui donnait un poème à lire par jour, sans nom d’auteur, pour laisser au lecteur le soin de le chercher (le nom était dévoilé le lendemain). Une phrase perdue dans ce monde plein de phrases, de villes, de visages et de poètes désemparés questionnant leur for intérieur. L’inducteur était la question posée à «l’âme» qui ne pouvait tenir en place. Où donc, en quel lieu, trouverait-elle un peu de pain? Elle rechignait à répondre, mais à la fin, inspirée par un philosophe des Amériques, elle lâchait : Any where out of the world ! Charles Baudelaire finissait ce petit poème en prose par sa traduction: «N’importe où, pourvu que ce soit hors de ce monde».

C’était en 1968 au printemps, ton cœur avec des millions d’autres à l’unisson avait battu la chamade. Et maintenant, loin des camarades, tu avais besoin de te reprendre, faire le vide, n’importe où, pourvu que ce soit dans un lieu, ville, village, oasis, désert, n’importe où pourvu que ce soit dans un monde où tu connaîtrais une heure heureuse:un’ora immobile che non è segnata sul quadrantre, e tuttavia leggera come un sospiro, rapida come un colpo d’occhio.» *

* une heure immobile qui n’est pas indiquée sur le cadran, et pourtant légère comme un soupir, rapide comme un coup d’œil

Antonio Tabucchi Any where out of the world

Jean Jacques Dorio

09/11/2023

ET SI L’ON N’OUBLIAIT PAS L’UKRAINE

LA DÉFAITE DE LA RUSSIE PERMETTRA AUX RUSSES DE REPENSER LEUR HISTOIRE

Le Monde daté du 6 novembre 2023

Vous défendez l’idée que la guerre s’arrêtera lorsqu’il y aura un changement à l’intérieur de la société russe. Qu’est-ce qui nourrit cet espoir ?

Mon point de vue est peu partagé en Ukraine. Beaucoup sont enclins à penser qu’il n’y aura jamais de changement en Russie. Ce raisonnement repose aussi sur une longue histoire. L’élite russe estime de son devoir de soumettre l’Ukraine. Moscou se croit l’héritière de la Rus’de Kiev [ou Russie kiévienne, entité politique fondée en 980 et rassemblant des territoires à cheval sur la Biélorussie, l’Ukraine et la Russie]. Puisque le baptême chrétien du prince Vladimir de Kiev fait partie de l’histoire russe, l’élite moscovite pense que Kiev doit, quoi qu’il en coûte, faire partie de l’Etat russe. La société russe le pense aussi.

Cette guerre, aujourd’hui, peut être porteuse de salut pour la Russie, comme la capitulation à la fin de la seconde guerre mondiale l’a été pour l’Allemagne, en 1945. La défaite de la Russie est importante au sens moral, car elle donnera au peuple russe l’occasion de repenser son histoire.

Myroslav Marynovytch

Recteur de l’Université catholique ukrainienne de Lviv, Myroslav Marynovytch, 64 ans, est l’un des derniers dissidents soviétiques ukrainiens vivants.

Son engagement pour la défense des droits de l’homme lui a valu, en 1977, une condamnation à sept ans de goulag.

 Il a purgé cette peine au tristement célèbre camp Perm-36, à 1 500 kilomètres de Moscou, dans l’Oural, suivi de cinq années d’exil au Kazakhstan.

Il est aujourd’hui l’une des figures intellectuelles les plus respectées d’Ukraine.

AVEC LE MOT OISEAU

Avec le mot oiseau qui contient toutes les voyelles orales du français dans le sillage de Ponge ou la verve de Prévert j’ai souvent laisser entendre mes gazouillis Mais par ricochet aujourd’hui je songe à l’heure tragique vécue par les Gazaouis pris entre l’enclume des terroristes abjects palestiniens et le marteau des bombes israéliennes Et que dire sans enrager des 200 otages pétrifiés femmes enfants vieillards bébés retenus dans l’enfer des sous-terrains de Gaza…Non je n’ai pas l’heur de continuer…

Mais j’invite mes lecteurs à entendre les paroles de deux êtres sensibles brisés par les événements tragiques et soucieux de maintenir en ces temps de détresse les dernières étincelles d’un dialogue porteur, malgré tout, d’espoir

Delphine Horvilleur née le 8 novembre 1974 Vivre avec nos morts

Kamel Daoud né le 17 juin 1970 Meursault, contre-enquête

Quels sont vos sentiments quinze jours après l’attaque terroriste du Hamas sur Israël le 7 octobre et la riposte, toujours en cours, de l’armée israélienne sur Gaza ?

Delphine Horvilleur D’abord, je m’étais dit que j’arrêterais les entretiens. Et puis quand on m’a proposé de dialoguer avec toi, Kamel, j’ai senti combien j’avais besoin de le faire, presque dans un souci de santé mentale. Depuis quelques jours, j’oscille entre une très profonde tristesse, un sentiment de dévastation, et une colère, une rage particulière et un désespoir que je ne connaissais pas en moi qui me suis toujours perçue comme une optimiste. Je suis en manque d’un dialogue humain sensé, empathique, au milieu de cette déferlante de haine et de rage. Je suis en réalité très blessée de trouver si difficilement des interlocuteurs. J’avoue, j’attendais les paroles d’intellectuels musulmans avec qui je dialogue habituellement. Il y en a eu quelques-unes, si essentielles, mais si rares. Quelque chose m’échappe dans ce silence qui me terrasse. J’ai le sentiment d’une immense solitude. Ce matin, à la synagogue, on lisait l’histoire de Noé et du Déluge. Je me suis dit que c’était exactement ce que je ressentais : j’ai l’impression que le monde est en train d’être détruit par un déluge de haine et de rage et que moi, je voudrais construire une arche. Je sais bien que je ne vais pas mettre fin au déluge ou amener les gens à la table de négociation pour la paix au Proche-Orient, mais j’aspire à conserver mon humanité en embarquant sur une arche avec des gens qui la partagent.

Kamel Daoud J’aime écouter Delphine. Et je ressens aussi le besoin de dialoguer pour réaffirmer quelque chose de banal qui est l’humanité, face à cette déferlante d’inhumanité qui s’est infiltrée en chacun, dans chaque camp, dans chaque famille. Mais j’ai aussi une colère, elle n’est pas de même valeur que la tienne, je n’ai pas été attaqué comme les Israéliens dans leur maison, j’ai connu autrefois ce genre d’attaque en tant qu’Algérien durant la guerre civile quand les islamistes décapitaient, massacraient et violaient, mais c’est autre chose. Je suis en colère parce que je suis musulman de culture et que dans ma géographie on me refuse le droit à l’expression et à la nuance, parce qu’on voudrait me forcer à une unanimité monstrueuse qui n’est pas la mienne. Je ressens également cette solitude profonde, incomparable avec celle de ceux qui ont perdu des vies, parce que j’ai pris la parole pour dire qu’une cause doit garder sa supériorité morale, qu’elle s’effondre si elle choisit la barbarie et trouve des gens qui la justifient.

la suite est à lire sur le Nouvel Observateur