ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT ? 14 CETTE NUIT J’AI ÉCRIT À CHARLES BAUDELAIRE

CETTE NUIT J’AI ÉCRIT À CHARLES BAUDELAIRE

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Cette nuit j’ai écrit à Charles Baudelaire. Je venais d’apprendre qu’il était poursuivi par la justice pour son volume de vers qui venait d’apparaître. J’étais grandement indigné et je lui demandais des précisions. Était-ce parce qu’il avait attenté à la Religion ? Aux bonnes mœurs ? J’avais repris les accusations dont j’avais été moi-même l’objet pour Madame Bovary, en cette année 1857. Le procureur de l’Empire de Napoléon le Petit, un nommé Pinard (ça ne s’invente pas) avait dénpncé « le caractère lascif » et « l’inclination au plaisir de l’amour » de mon héroïne. -Et quel fut le verdict ? -Acquitté. Mais j’en gardai à vie un goût amer. L’immoralité je la pointais dans l’ignorance et la bêtise de mes accusateurs. -Et pour l’ami Baudelaire ? -Il fut lui condamné et dut retirer, honteux et confus,  six fleurs de son bouquet, jugées obscènes et immorales. Il ne me connaissait pas personnellement, mais ayant lu avec joie mon premier roman, il m’avait fait parvenir Les Fleurs du mal dès leur parution. -Et quelle fut ta réception ? -Je lui écrivis depuis ma tanière de Croisset le 13 juillet 1857 : Mon cher ami, J’ai d’abord dévoré votre volume, d’un bout à l’autre, comme une cuisinière fait d’un feuilleton (Mme Bovary avait d’abord paru en feuilleton), et maintenant, depuis huit jours, je relis, vers à vers, mot à mot, et franchement, cela me plaît et m’enchante. Vous avez trouvé le moyen de rajeunir le romantisme. Vous ne ressemblez à personne (ce qui est la première de toutes les qualités). J’aime votre âpreté, avec ses délicatesses de langage, qui la font valoir comme des damasquinures sur une lame fine. Flaubert citait ensuite plusieurs pièces qui l’avaient frappé, desquelles il détachait en premier La Beauté.

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

SENTIR la liberté aux semelles de vent









Tenter d’exposer en clair la vérité poétique, c’est chercher à circonscrire la poésie par les moyens du discours, énumérer ses aspects sous prétexte de la mieux saisir et, en fait, la laisser échapper, puisqu’elle par essence de l’ordre du tout ou rien et ne peut donc évidemment pas se débiter au détail. […] Je vise un but pratique et ce qu’il faudrait c’est – chose étrangère à toute théorie – me sentir planté en pleine poésie.    Michel Leiris

SENTIR




Sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules Sentir la liberté aux semelles de vent Sentir le bonheur des Sans-Culottes chantant et dansant la Carmagnole Sentir le bruit si doux du temps qui passe quand on compose une ballade Sentir bébé bouger la tête en bas les fesses en haut faisant ses sauts et ses gambades Sentir les battements du cœur et les violons de l’âme Sentir un parfum frais sortir des touffes d’asphodèle Sentir le goût des allitérations labiales, dentales, palatales, vélaires, uvulaires Sentir siffler ou chuinter les fricatives pour qui sont ses serpents /  un chasseur sachant chasser Sentir gueuler Flaubert pour parfaire sa phrase un gorille hurlant (sic) Gare au go Gare au ri Gare au gori ille ! Sentir la fin et le fagot, le sapin de la caisse, l’hérésie, le roussi, le lièvre et la perdrix Et ne pas se sentir le cœur de boucler cette fantaisie…





ENTRE-TEMPS





« Ça a coulé » dit Flaubert, parlant du temps qui a fui, comme un tonneau percé. « Ça a calé », ai-je écrit, dans la chanson que j’ai faite sur ce thème. J’évoque ainsi, « les calades », ces chemins en pente faits de galets de rivière. Nul n’est censé savoir, que c’est sur une calade de Vaison la Romaine, que fut prise notre dernière photo, en amoureux, au printemps 2013.

« ça a passé »
voix paroles et musique
jj dorio

LETTRE UN PEU LESTE PRISE AU COLLET





Réponse de Louise à la lettre de Gustave

du 24 janvier 1854

Aux Martigues

04/04/2020

nuit de samedi 4h





Mon cher Gus

Tes phrases me grisent

Elles illustrent à merveille

Ton psychologico

Caca nerveux





Et ton pucelage

Qui dis-tu

Ouvre à tout vent

La reproduction

De ta future œuvre

M’a faite trépignée

De rage endiablée





Du coup je suis allée

Tout de go

Au zoo

Du jardin d’acclimatation

Donner quelques feuilles

De Bovary

Aux grands singes

Et aux ouistitis





Au retour sur ma table

J’ai pris mon stylo bic

Et composé une chanson

Avec les meilleures

De tes rogations





La fille du Bédouin

Le citoyen Machin

Et la Louise collée

Au faux blair

De Flaubert





C’est le refrain

Que nous chanterons

Sans freins

Rue de Sèvres

Quand sorti de ta mouise

Tu pourras de vive voix

La voile enflée

Achever ta besogne





Ta Louise





COMPLÉMENTS

Extraits de la lettre de Gustave Flaubert à Louise Collet

Croisset 23 janvier 1854 Nuit de lundi 1h

J’ai passé deux exécrables journées, samedi et hier. il m’a été impossible d’écrire une ligne. Ce que j’ai juré, et gâché de papier et trépigné de rage, est impossible à savoir. J’avais à faire un passage psychologico-nerveux des plus déliés, et je me perdais continuellement dans les métaphores, au lieu de préciser les faits. Ce livre, qui n’est qu’en style, a pr danger perpétu continuel le style même. La phrase me grise et je perds de vue l’idée. L’univers entier me sifflerait aux oreilles, que je ne serais pas plus enragé abîmé de honte que je ne le suis, qqfois. Qui n’a senti de ces impuissances, où il semble que votre cervelle se dissout comme un paquet de linges pourris ! – & puis le vent resouffle, la voile s’enfle. ce soir, en une heure, j’ai écrit toute une demi-page. Je l’aurais peut-être achevée, si je n’eusse entendu sonner l’heure & pensé à toi.

Quant à ton Journal, je n’ai nullement défendu à B. [Bouilhet] d’y collaborer. Mais je crois seulement : que lui, inconnu, débutant, ayant sa réputation à ménager, son nom à faire valoir, & mousser, il aurait tort de donner maintenant des vers à un petit journal. cela ne lui rapporterait ni honneur, ni profit. et je ne vois pas en quoi cela te rendrait service, puisque vous avez le droit de prendre de droite & de gauche ce qui vous plaît. – Pour ce qui est de moi : tu me comprends que je n’écrirai pas plus dans celui-là que dans un autre. à quoi bon ? & en quoi cela m’avancerait-il ? S’il faut (quand je serai à Paris) t’expédier des articles pr t’obliger, de gd cœur. Mais quant à signer, non. Voilà vingt ans que je garde mon pucelage. – Le public l’aura tout entier & d’un seul coup, ou pas. D’ici là, je le soigne. Je suis bien décidé d’ailleurs à n’écrire par la suite dans aucun journal fût-ce même la R. des Deux M.  [Revue des Deux Mondes], si on me le proposait. Je ne veux ne faire partie de rien, n’être membre d’aucune académie, d’aucune corporation, ni association quelconque. Je hais le troupeau, la règle & le niveau. Bédouin, tant qu’il vous plaira. citoyen, jamais. J’aurai même gd soin, dût-il m’en coûter cher, de mettre à la première page de mes livres que « la reproduction en est permise », pr afin qu’on voie bien que je ne suis pas de la Société des gens de lettres – car j’en renie le titre, d’avance, & je prendrais vis-à-vis de mon concierge plutôt celui de négociant ou de chasublier. – Ah ! ah ! je n’aurai pas tourné dans ma cage pendant un quart de siècle, et avec plus d’aspirations à la liberté que les tigres du Jardin des Plantes, pour m’atteler ensuite à un omnibus et marcher trottiner d’un pas tranquille sur le macadam commun –Non, non – Je crèverai dans mon coin, comme un ours galeux. – Ou bien l’on se dérangera pr voir l’ours. – Il y a une chose toute nouvelle & charmante à faire dans ton J. [Journal], une chose qui peut être presque une création littéraire, & à quoi tu ne penses pas, c’est l’article mode. Je t’expliquerai ce que je veux dire dans ma prochaine. Il me reste à peine assez de place pour te dire que ton G. t’embrasse.





ILLUSTRATIONS

Fac-similé

Lettres de Gustave 23/01/1854

Réponse de Louise 04/04/2020

(brouillon de culture)

Gus Flaubert
23/01/1854
1 h du mat
Louise Collet
pcc Jean Jacques Dorio
04/04/2020
4H DU MAT
Flaubert à 50 ans
photographié par Nadar
fac-similés :
enveloppe et signature autographe
du maître romancier