Je vois les mots une fois posés sur la page vierge mais je m’en vois pour qu’ils adviennent et d’ailleurs parfois je ne peux les voir en peinture
À d’autres moments par un heureux hasard les mots font apparaître un monde disparu qui était dans la coulisse
Ainsi la cueillette des simples sur la colline des Martigues qui surplombe ma maison fait apparaître la place aux herbes peinte par Camoin que tant nous admirâmes au musée de l’Annonciade
Je vois les mots au-delà de la mort de celle qui alors m’accompagnait dans le musée de Saint Tropez parce qu’après sa mort je désire que sa grande force lui dure
Sur la colline de gypse gris nous accrocherons les tableaux de ce gueux de siècle, ventre et jambes arrachés. René Char
Je n’irai pas chercher midi à quatorze
heures. C’est un peu après dix heures de la nuit que l’on trouva son corps sans
vie- comme on dit-, à l’aplomb d’une terrasse qui elle-même survolait la mer et
les remparts d’un port scintillant de méditerranée. Le dur repos, peut-être,
après des jours de térébenthine- trop forte, et de présence humaine- trop
faible.
Bouteilles, encres, couleurs pour toiles, pinceaux couchés ou dans le pot ; et après le succès marchand- disproportionné ?- le refus soudain de peindre comme il savait. Une façon de se brouiller avec soi-même et de ne laisser que des traces sans suite, posées à la diable, grises qui crient en silence. Des ratages dont il ne veut pas écrit-il à son marchand qu’il l’énerve avec ça.
Mais laissons un instant sa spécialité artistique. Nous avons au moins croisés tout deux- lui le très grand bonhomme connu, moi le petit poète- disons ?- inconnu, les mêmes lames de ce fameux tarot de Marseille. D’Antibes, où donc on lui dénicha ce local pour peindre, Nicolas évoque trois arcanes majeurs qui peut-être lui permettront ce renouvellement continu qu’il recherche. J’ajoute pour chacune quelques mots puisés dans un des jeux que j’ai écrit il y a vingt ans et qui dort dans une de mes réserves de textes sans éditeurs.
J’ai trois cartes.
Le Diable.
…il cabre
ses ailes bleues…ses ailes de chauve-souris,,,frappe le cymbalum des tentations
…frappe la queue du chien,,,frappe le doigt de Dieu
et la Bête passe,,,nous
laissant l’Oeuvre au noir,,,sans vitrines ni banderilles mondaines,,,
et nous jetons sa carte
dans un geste qui fait penser au jeu de la mourre,,,
et de l’amour ?
l’Hermite.
…hermite
au pied léger dans la tempête de tes sommes…dans la capuche de tes rêves,,, tu
promènes les aurores boréales d’un harfang de l’arctique…bleus égratignés de
vermeils…
la Force.
…comme cette femme maintenant de
ses mains délicates,,,la gueule ouverte du lion…comme cette femme cherchant à
libérer la bouche des vieilles ombres…comme cette Force qui nuit à nuit
étrangle la fatalité de « l’Hydre Univers…(Victor
Hugo)
Et, croyait-il encore- en cet hiver qui serait son dernier – s’il produisait trop d’inattendu, les marchands d’art n’aimant pas ça, le Bateleur, parviendrait à rattraper le coup. Staël croyait sans doute au gobelet polaire sortant les dés du hazard- comme il l’orthographiait.
Reprenons. C’est la fin. Dans la
non-peinture des esquisses d’esquisses, il se déploie soudain et nous offre ses
mouettes sans gouverne qui filent cependant le train à l’horizon, qui l’espace
d’un suspens sont la mer grise et blanche.
Et puis tout à coup, las des sourdités,
c’est l’éclat du nu couché bleu qui lui revient, un corps de montagne et
d’abandon ; et enfin, le concert : inachevé- comme il se doit
– anticipant les nuits-jazz du cap proche de Juan-les-Pins, nous saisissant,
une dernière fois, happés dans les soupirs et les silences d’un piano noir
déployant ses partitions…
Et nous voilà repris par une cinquième
lame majeure du tarot, celle où l’on voit la tour d’où sont tombés deux
acrobates…
La MAISON-DIEU …tour déglinguée d’où s’échappent des bulles rouges,,, « pas du sang …du rouge » (Godard)