RETIENS BIEN CE QUI T’ÉCHAPPE

 
 
J’ai perdu ma mine  ma petite mine de crayon gris
Aussi ce que tu lis lecteur anonyme ne fut pas écrit
Mais pensé ruminé avec l’impératif de le retenir
   Un pari bébête    un pari de tête :
«Retiens bien ce qui t’échappe».
 
  C’était ton être en lambeaux que tu essayais de reconfigurer
  Avec tes armes et bagages
tes lettres de l’enfance
   Où tu t’imagines toujours bondissant
en jouant au jeu de barres
  à la course au sac  à la marelle
   Avec les mots de Gavroche
et la faute à Voltaire
 
Et c’est maintenant ton être au présent
actif imaginant
posé sur ta chaise en bois blanc
les pieds sur ta table d’écriture
avec pour boucler le tout
deux doigts sur le clavier
 
Et puis mine de rien
Tu te dis que ce que l’exercice imaginait
S’est réalisé


 

TOI MON AUTRE MOI

TOI MON AUTRE MOI

Le Poète doit, selon un fragment retrouvé sur une tablette de l’Antiquité, conduire son lecteur de la fumée au feu.

*

JE NE SAIS QUE TE DIRE. L’aube affaiblie* avance sa plume, tu n’es plus là, mon autre moi, pour qui j’aimais à vivre.**

Il y aura quatre ans, jour pour jour, que celle qui s’appelait Josiane Dorio, s’éteignait.

Moi, je te cherche toujours. Je te lis dans Montaigne, Apollinaire et d’autres chers et chères amies disparues, mais ce n’est pas eux et ce n’est pas elles, mais moi seul qui suis l’archéologue obstiné de tes vies.

Car, comme nous tous, si l’on veut bien y être attentifs, nous avons, au cours de notre unique voyage, plusieurs vies, nous portons, sur la scène du monde, plusieurs masques, nous sommes, chemin faisant, plusieurs personnes qui recouvrent, saison après saison, notre enveloppe humaine.

Et ce que je te dis là, ce matin, dans la petite lueur de l’aube naissante, j’espère que d’autres que moi, pourront l’écrire un jour, à leur manière, selon la forme de leur récit et l’attention portée, non à la fumée de leurs vies, mais au feu qui les anime et les renouvelle.

*Paul Verlaine ( 30 mars 1844-8 janvier 1896)

** Philippe Desportes (1546-1606)

 Josiane Dorio (10 avril 1952-25 mai 2014)

*

 New York Astoria 35 th street 25 mai 2018

LE DON DES PAGES

une page

colonne d’écriture

c’était une treille

en agriculture





au village

vivait Monsieur Page

retraité de l’armée

le seul possédant une ouature

et l’usage oral du passé simple





en pagayant

dans une page de dico

on peut faire mousser

pagure palabre pageot





et ce pagne des indiens panaré

que tu ramenas d’Orénoque

teint au rocou

échangé contre tu-ne-sais-plus-quoi





fin de page

dont tu fais don

à l’écran blanc

au premier lecteur qui passe

à la nuit des mots boules de neige

à l’oubli






	

TRADUIRE C’EST UN PEU MOURIR

13 | juillet | 2007 | POÉSIE MODE D’EMPLOI

L’OISEAU RARE

Traduire ?

D’abord un gagne-pain, dit le poète qui ne voulait pas professer ou polir des lentilles, ou- pourquoi pas, après tout- labourer : tout un art si l’on veut bien reverser une terre droite et propre au monde des vers blancs et des bergeronnettes suiveuses…

Traduire ?

Pour le gagne-pain, en tout cas, la poésie est interdite:   zéro franc zéro centime la ligne!

Mais…    Il y a des éclairs qui traversent le ciel du traducteur, une longue phrase retorse ou cinq mots d’accalmie, après de longues pages de signes moribonds…

Mais, il y a la fragilité d’un cou sur la mer, le sourire de votre fille de vingt ans qui ne veut pas que vous quittiez déjà la fête, le chant de l’alouette qu’un fusil va abattre, tel est le cœur…vous connaissez sans doute?

Alors traduire ?

Si vous ne connaissez pas d’abord le cœur et l’émotion, jetez vos livres de poésie et marchez longtemps seul, sur les plages, dans les forêts, les montagnes qui ne sont sur aucun dépliant touristique, seul ou accompagné(e) de votre âme sœur, de votre génie frère.

Alors, assurément, on confond les activités, on traduit ce que l’on écrit. C’est le centre et la périphérie, c’est la façon de ne pas tout à fait mourir le jour de son enterrement – d’y assister un peu tout de même comme écrivit Apollinaire- puis de s’envoler comme l’oiseau rare, ce lecteur idéal de nos livres d’images…