LETTRES À LA NUIT NOIRE

  
Je vais voir ailleurs si j’y suis
C’est le parcours obligé de tout poème
 
Je vais voir le champ de marguerites
Où repose Suzanne ma mère
 
Je vais suivre le sillon que mon père
Destine au blé au maïs à la luzerne
 
Il est tard c’est la nuit noire
C’est ainsi que j’écris le mieux
 
L’œil distingue parmi mes notes orphelines
Des lettres dont vous n’avez aucune idée
 
Mais si vous les lisez étonné.e.s
Ailleurs sur le pas de votre porte
Ou à votre fenêtre éclairée
 
Ne me laissez pas sans nouvelles

TU TRAVAILLES DU CHAPEAU

à Alain Gerber,

tu travailles du chapeau me disait ma mère mon père portait le béret et dans les fêtes paysannes où chacun.e y allait de son petit chant « le béret » était la chanson qu’on lui réclamait elle était interminable* mais il se faisait un plaisir de la mimer et on l’applaudissait je l’ai porté un temps à Arreau Hautes Pyrénées où je faisais le prof un peu comme provocation mais je manifestais ainsi mon naturel issu de culture et de contestation j’avais aussi les longs cheveux et la barbe des barbudos comme un sauvage paisible et bucolique je me souviens qu’un soir à Caracas où je faisais avant Arreau ma coopé un bistrotier m’a comparé au fameux Papillon qui avait écrit cette histoire de bagnard échappé de Cayenne passé soi-disant par la Goajira un roman qui fit grand bruit chez les germanopratins –ils s’esbaudissaient devant un chef d’œuvre de littérature orale – Charrière puisqu’il faut l’appeler par son nom avait un bar à filles à Caracas où j’entendis dire que le patron était loco de piedra « comme une pierre folle » mais que moi c’était plutôt la folie douce « quand mon père regarde au fond de son chapeau il ne trouve toujours pas les mots qu’on cherche » je recopie l’incipit d’un roman** que personne ne reconnaîtra sauf l’auteur qui hélas ne lira pas mon petit fragment que toutefois je lui dédie

*Moi mon chapeau je le mets dans ma poche  Je suis gascon et porte le béret

**Une rumeur d’éléphant


	

JE NAQUIS EN ARIÈGE









Je naquis en Ariège

En quarante-cinq Ah

Ris ai-je dit au chat

Qui la langue me tire

Mon père labourait

Semait le blé et l’orge

Ma mère cuisinait

Les produits du jardin

Le poulet le lapin

Le canard le cochon

L’omelette des poules

La soupe au lait des vaches

Que mon père trayait

Fils unique j’étais

L’espoir de la famille

Instituteur serais

Rien de moins rien de plus

J’apprendrais za compter

Lire faire pâtés

D’encre Bâtons et lettres

Aux marmots de l’école

Plus de porcs de couvées

De labours de semailles

La mort des paysans

La vie d’un enseignant

Et voilà tout est dit

Le chat s’est endormi

Je lui ai donné ma langue

Et cet écrit étrange

Des débuts de ma vie

Avec les animaux

Les projets de mes vieux

Confidences à mi mots

Pensées les yeux fermés.

Sans flonflons ni enflure

Entre rires et pleurs

Maintenant que les fleurs

Des fêtes de nos vies

Ne sont plus qu’avenir

Au passé aboli.