JE ME SOUVIENS DE LA TÉLÉVISION EN NOIR ET BLANC



Non, moi non plus, comme Bourvil le chante, je ne me souviens pas du nom du bal perdu, ce dont je me souviens en revanche, ce sont les bals de l’été des fêtes de villages, les balloches, dont j’apprends qu’il s’agit aussi des « testicules » qui entre parenthèses donnèrent au temps des textes écrits sans queue ni tête les texticules  (du hasard)
Je me souviens du Hasard et de la Nécessité du biologiste Jacques Monod et de son visage qui passait, en noir et blanc, sur l’unique chaîne de télévision.
Je me souviens de l’enfant Goajiro qui grimpait au cocotier nous chercher une noix de coco et que l’on surnommait Mono (Petit Singe rieur et malin)
Je me souviens de Guernica que j’ai vu en 1974 au Moma, pas loin d’une Nymphéa dont la dimension 1×2 m, me faisait faire des allers-retours
Je me souviens aussi que le même jour je tombais en arrêt devant un tout petit tableau de Dubuffet que personne ne regardait Il représentait Joe Bousquet, cloué au lit, lisant un livre dont se détachait le titre choc : Traduit du silence, et qui commençait par Je suis dans un conte que mes semblables prennent pour la vie
Je me souviens de temps en temps qu’il faudrait que je relise quelques histoires de La vie mode d’emploi « Une lecture plus attentive de ces vies imaginaires permettrait sans doute d’en détecter les clés »
Je me souviens de mon petit vélo rouge d’enfant que je rangeais la nuit dans l’étable à côté de la maie des cochons (à la différence de « le petit vélo à guidon chromé au fond de la cour » de Georges Perec)
Je me souviens de ma première bagnole, une deuch bleue (« comme une orange » évidemment)
Je me souviens de Si sta facendo sempre più tarde : Il se fait tard, de plus en plus tard
"Entre temps la vie s’est écoulée, on ne peut plus la rattraper" me confie dans un sourire navré Antonio Tabucchi qui repose désormais au cimetière des Plaisirs, à Lisbonne sa seconde patrie.

POUR FAIRE DE MON ROMAN UNE ŒUVRE D’ART OUBLIEZ SON TITRE 50, 51, 52





cinquante

UN ARTISTE DE LA CITATION  doit savoir trouver en elles des solutions pour toutes les circonstances

de sa vie. Et, en particulier, durant ces moments où il écrit des pages et des pages d’essais, de romans, de récits, de poèmes ou de rien du tout d’identifiable.

Ce sont nos arts d’échouage, où l’on se tient à ras du sol, pour avoir, en nos moments où l’on ne sait plus

bien qui l’on est, la sensation de survivre.

« Artista citador », je me laisse guider dans ta langue tras los montes, qui m’indique cette nuit comment être en paix avec nos morts. « Tener un encuentro a pie de tumba y en sigiloso monólogo poder decirles, con cariño, lo que tendría que haberles dicho en vida. »

(Rencontrer nos morts au pied de leurs tombes, pour, en toute discrétion, pouvoir leur dire, affectueusement, ce qu’on aurait dû leur dire de leur vivant ». (ma traduction)

italiques Enrique Vila-Matas (Esta bruma insensata)





cinquante-et-un

JE N’AI JAMAIS ÉT֤É UN FAN DE L’ESPRIT DE L’ESCALIER et d’ailleurs je serais bien en peine d’expliquer à un enfant de quoi il s’agit. Dernièrement me trouvant au Moma devant la mariée descendant l’escalier, j’ai lu, sur le cartel attenant au célèbre tableau, les recommandations du maître du Ready Made : pour faire de mon tableau une œuvre d’art oubliez son titre. Et entre parenthèse suivait la phrase fatidique : (à moins que vous n’ayez l’esprit de l’escalier.)

Quand je sortis du Museum of Modern Art, je pris un bus à étage, comme par défi, qui me conduisit vers Times Square, où cent mariées planant au-dessus d’un escalier me sautèrent aux yeux.





cinquante-deux

ÇA DEVAIT ARRIVER, les Exercices de style du bon Queneau, utilisés comme matériau de remploi, cent ans plus tard, par un romancier en manque de métalepses. Voilà donc que le type au long cou, « chapeau mou avec cordon remplaçant le ruban », descend de la plate-forme de l’autobus S, et se fait tout de go, écrabouiller par un tramway venant en sens inverse.

Il paraît que c’est arrivé à l’architecte de la Sagrada Familia, un jour qu’il rêvait, plans en main, devant son édifice, en construction perpétuelle. Mais, le récit se corse, quand on apprend que la victime se relève et proteste devant cette fin non prévu dans le cahier des charges de notre romancier Oulipien.

D’où la métalepse.