POÈMES RESTÉS AU SECRET

 

Sans doute la persévérance d’une voix est-elle l’unique vraie justification de la poésie.
[…]
Tout ce que la poésie peut faire, et seulement quand les étoiles sont bienveillantes,
c’est prêter des mots à nos questions, se faire l’écho de nos souffrances,
nous aider à nous souvenir des morts, mettre un nom sur les œuvres du mal,
nous apprendre à réfléchir aux actes de vengeance et de châtiment,
et aussi de bonté, même quand la beauté n’est plus là.
 
Alberto Manguel
 
 
les poèmes glissent dans le gouffre des nuits
les poèmes butent contre les portes des rêves inachevés
les poètes meurent dans un dernier mot resté au secret
 
les poèmes affrontent les fleuves intranquilles
les poèmes surgissent des voix chères qui se sont tues*
les poètes se tuent à dire l’indicible
 
*Verlaine
 
les poèmes travaillent le corps perdu des métaphores
les poèmes césurent riment et apocopent
les poètes balbutient un dernier vers d’azur
 
 
 
 
 

JE RÊVE J’ÉCRIS LES PERTES ET LES GAINS

 
Je rêve. J’écris un poème.
Je ne me demande jamais
Pourquoi.
 
Je rêve. J’écris sur le saule
Du vieil étang
Il n’a plus de grenouilles
Depuis longtemps.
 
Je rêve. J’écris sur le bouleau
Aussi blanc
Que ma tête.
 
Je rêve. J’écris Amor
Ce mot qui confond
L’amour et la mort.
 
Je rêve. J’écris en retenant
Le souffle de la nuit.
Elle a les yeux d’un serpent
Qui se déplace sur les feuilles mortes.
 
Je rêve. J’écris sur ma porte
C’est toujours ouvert
Entrez sans frapper.
 
Je rêve. J’écris sur les murs de Mai
Cogito ergo Sum
Rue Descartes derrière le Panthéon
Là où mourut Paul Verlaine.
 
Je rêve. J’écris un poème.
C’est le dernier. Je compte ses pieds
Sur les doigts de la nuit.
Un enfant crie qui-vive !
Il tire les derniers fils.
Le temps ouvre la main
Des pertes et des gains.
 

DES POÈMES POUR NOS NUITS

 

" Le poème, c’est ça pour moi :
c’est celui qui est le malade
et le docteur en même temps."

paroles d’un « poète » anonyme


 
Souvent pour m’endormir je déroule des poèmes
Je les connais par cœur les compte sur mes doigts
Ou bien – pareil au même – j’invente un vers puis l’autre
C’est purement mental C’est ce que vous voudrez
 
Lecteurs qui craignez l’insomnie comme l’orage
Ô rage ô désespoir ô vos viles insomnies !
Convoquez la mémoire d’un poème ami
Murmurez inventez ces mensonges aimables
Qui réparent nos jours et enjambent nos nuits
 
les figures blanc sur noir ont été réalisées le 16/05/2018
dans un train qui me menait de New York à Montréal
c’est une autre manière de réparer nos maux
par un autre moyen
que les mots d’un poème


POÈTE JE NE LE DIS JAMAIS

« Nous, les Suprêmes Poëtes, qui vénérons les Dieux et qui n’y croyons pas ».

Verlaine





Poète, je ne le dis jamais. Ne me demandez pas pourquoi.

Un poème, avec ou sans les dieux, « je l’écris, il s’écrit, il m’écrit »,

comme disait joliment Claude Simon de ses livres.

Je l’écris, à la main, à ma main, à mon rythme,

selon les régimes déployés par mon activité.

Il s’écrit, dans le calme ou la fureur, la clarté ou le mystère. etc.

Il m’écrit, me forme et me déforme,

ajoute quelques pièces au puzzle de mon identité.

Mais poète, je ne le dis jamais.





(texte en cours)

AU PLUS PROFOND DU LABYRINTHE





Étendant les mains hors du lit, Plume fut étonné de ne pas rencontrer le mur.

« Tiens, pensa-t-il, les fourmis l’auront mangé… » et il se rendormit.

Henri Michaux


je ne suis pas dans le monde

mais dans mon lit

je ne suis pas dans la lune

mais dans le livre d’un certain Plume

je ne suis pas dans les lieux communs

mais dans ma chambre d’éveil

je ne suis pas un loup au pelage roux

mais un loup qui passe entre les mailles

et les manilles du temps présent

je suis le verbe maladroit

de cette ébauche de poème

abandonné au plus profond du labyrinthe





Tu laisses quelqu’un nager en toi
Michaux
acryliques encres de chine sur toile
Dorio