LE MONDE S’ÉCRABOUILLE

Le mode s’écrabouille, se trucide, se déchire et toi tu continues, ignoré de Balzac et des lecteurs futiles, à produire tes vers de mirliton, faisant tourner à qui mieux mieux ta toton, toupie d’un rituel d’oubli des sinistres réalités.

Oui, mais, aussi, cependant, travailler la métaphore vive, ne pas admettre sa perte, persister dans ce chant baroque des piétinements, basse continue et oxymorons, au grand dam des écrabouilleurs en tout genre, des trucideurs, des faiseurs de guerres infâmes,

Coeur d’amour épris, écrit Matisse fatigué, finissant, en découpant ses papiers de couleur, oiseaux du jazz, signes en verve, manière pour quelques secondes précieuses de réparer les maux du monde, et d’en éloigner jusqu’au bout, les amoureux fervents et les savants austères.

Millau la nuit du 11 juin 2025

FILTRES À CAFÉ

C’est la première fois que j’écris sur un filtre à café brun marron
Ça m’oblige à faire des lignes courbes et d’imaginer des mots à la place
des grains de café réduits en poudre : 
Et nous les os devenons cendre et poudre. François Villon. 
Recopier des vers anciens que j’ai en tête et qui viennent au hasard de mes rêveries,
m’irriguer de leurs sens toujours renouvelés.
La main écrit, s’arrête, reprend, parle, se tait, se répète, file la métaphore, 
nous conduit au-delà de ce que nous sommes et nous ne sommes pas. 
 
Labyrinthe, parcours labyrinthique, à tâtons, j’avance et je me heurte, j’interprète, je me trompe ou je réussis, le bel hasard me guide, ou me trahit.
 
Traité des Tropes de Du Marsais, pour y voir plus clair
ou trébucher – tropezar – dit-on en Espagne.
Le tout est de se relever. Relever ses filets de voix et de manières de dire.
Arborescences, buissonnements, puis, ce rameau d’arbre effeuillé l’hiver,
par la mort de sa compagne, et qui par l’opération de l’Écrit devient cristallisation
chère à l’amour stendhalien.


 



Sans Prétention manuscrit sur papier filtre à café fond « mola » tissée
don de Michel Perrin ethnologue : Tableaux Kuna (Arthaud)

*

SANS PRÉTENTION
 
Sans prétention

Mais non sans dynamisme

.

Sans tension

Mais non sans attention

.

Sans plan préétabli

Mais non sans

materia prima

sur l’établi

.

Sans prétexte

Mais non sans texte

qui file sous les cinq doigts

de la main qui écrit

.

Sans signes

mais non sans défi

aux singes grammairiens

.

Sans savoir

Mais non sans saveurs

des mémoires de l’oubli

.

Sans poésie

Mais avec cent poèmes

appris et désappris

.

Sans prix

à la foire

des poètes couronnés

Mais non sans semences

des clous du sabotier

.

Avec le rythme des saisons

de mon petit jardin imparfait

mais jouissif

.

Sans réelle reconnaissance

Mais non sans pensées joyeuses

qui font la sarabande

.

Sans fond en apparence

Mais non sans cette forme

goutte à goutte

qui fond sur un filtre à café

.

Sans accord

Mais non sans ces coups

de raccrocs et de rabots

sur la planche du vide et du chaos
 

PRATIQUE DE LA POÉSIE

Entièrement absorbé par le geste d’écriture d’un poème

Oubliant les affaires qui m’ont accaparé toute la journée

La pratique de la poésie a l’avantage de m’imposer une discipline :

Compte tenu des mots

Du parti pris des choses

La poésie – contrairement à ses doux rêveurs qui la déservent – vise un but pratique

Dans un monde lourd, bruyant du braiement des ânes, maintenir la persévérance d’une voix discrète, légère, un frisson d’eau sur de la mousse.

Copenhague 16 mai 2025

PASSER

Passer comme le fleuve qui est de temps et d’eau

Passer comme la barque du berceau au cercueil

Passer comme ces vers qui filent l’anaphore

Passer d’ Homère à Borges de l’ Odyssée à l’Histoire de l’Éternité

Passer sur la page vierge des jours sans inspiration

Passer la poésie au peigne fin des gymnopédies

Passer de Keith Jarret à Érik Satie

Passer sur ce poème du vide et du vertige

Passer sur le silence des voix qui se sont tues

LES TERCETS D’UNE NUIT

Les tercets d’une nuit

Ombres démesurées

Que le stylo écrit

.

Les tercets d’une nuit

Fouillis d’ images et de mots

Qui cavalent sans bruit

.

Ou qui sont en attente

Un stylo noir figé

Entre les doigts d’une main

.

Les tercets éclatés

Vociférés ou tus

Par une voix sans personne

.

Tu te souviens

Des livres anciens

Sur le duende

.

De la terre bleue

Comme un orange

Et de nos vers partagés

.

Uniques et sans appel

Multiples dans la nuit

Portés de trois en trois

.

Trois p’tits chats

Chats chats

Chapeau d’paille

.

Etc