COMMENT GARDER LE FIL

Le poète est ailleurs

Il joue avec une corde

de la grosseur d’un doigt

Il se perd dans un nuage

des environs de Foix

Il est ce vieux peau rouge

Qui n’a jamais appris

À marcher en file indienne

Le poète est boiteux

Et bègue assurément

C’est un esprit qui dans le chaos

Déploie son vortex

Un point maximum d’énergie

Avant de disparaitre

De se retirer de la course

« Vous savez c’est quelqu’un

Dont je me suis toujours méfié

Pour un oui pour un non

On ne le revoit plus« 

dit l’une

Mais l’autre la contredit

« Dans ce pays de l’oubli

Ligne après ligne

Il garde son fil à lui »

MOI QUI SUIS POÈTE

Moi qui suis poète

Tu lis ça dans ton lit

En moquant cette prétention

galéjade forfanterie

Il est vrai que le poète en question

s’en tient à une définition modeste

Il sait les lettres leur maniement

Ce qui  lui vaut (soit dit en passant)

la reconnaissance d’un Gallimard

peu enclin pourtant à publier

livres de poèmes bien alignés

Le poète en question allant quitter l’affaire   (il approche de la fin) fait à ce propos preuve d’humour témoin friable de son propre corps :

Ne vous méprenez pas je ne vous demande pas de croire en moi

C’est déjà bien que j’y croie moi-même

Ce sont croyances d’office qui me semblent déficientes

L’union précaire de moi avec moi-même m’en fait douter*

*Jacques Darras Je m’approche de la fin

L’INSTINCT DE POÉSIE

J’entends le vent du sud avec de fortes ailes

Un poème dans la nuit fait un geste

Je ne me suis jamais dit poète mais j’ai gardé l’instinct de poésie en consacrant au moins un instant quotidien à l’écriture d’un poème

Je suis chaque fois, comme à présent, au pied du mur, au bord du vide, cherchant voie et voix, rimes et rythme, me  remémorant certains vers appris par cœur depuis l’école communale

Attendant, hésitant, puis lâchant les chiens sur les traces d’une ballade, d’un sonnet ou d’une forme indéterminée que j’abandonne  à la fin sur le papier, puis sur le blog, de guerre lasse

DANS LA MAISON DU POÈTEREAU

Dans la maison du poètereau

Le temps s’écoule entre deux mots

Entre présent (futur passé) et temps zéro

Dans la maison de vers tracés au cordeau

La corde vibre entre deux maux

Le mal de l’idéal le mal des mal-aimés

Le corps s’afflige puis se reprend

Cesse ses plaintes de piètre penseur

Tire l’esprit vers l’extase verbale

Grosse modo  vers l’inspiration du Père Hugo

Dont l’égo surabondant se mue en voix de Dieu

Au bord de l’infini Victor prophète et messie

Joue la Comédie surchargée d’éternité

C’est et ça peut paraître boursouflé

Mais comparé aux petites bouches et aux poids plume qui se vendent au marché de la poésie aujourd’hui

Tout est pardonné

BOIRE SOUS LA LUNE PEUPLER SA SOLITUDE

Boire seul sous la lune, écrit Li Bo, qui la prend pour amie et avec l’ombre qu’elle lui procure, voilà qu’ils sont trois. Que n’inventons-nous pas pour peupler notre solitude ? Assurément cette main qui court le papier, maniant le pinceau du poète-calligraphe, ou bien l’ancienne plume et son encrier, avant le stylo pointe fine. Écrire seul en silence, calé sur son oreiller, la lune à la fenêtre, les volets grands ouverts. Suggérer les activités joyeuses de jadis : la toupie sur les carreaux de la cuisine, le jeu de barres dans la cour de l’école et la construction d’une cabane. Li Bo réapparaît, nuit de lune sur le fleuve, il vacille en buvant une nouvelle coupe de vin de Sin-fong. Un dernier coup de rame, ma barque de papier ne sert plus que de marque-page, les images des rêves, comment les épuiser ?  Li Bo (Li Po, Li Bai) 701-762

le caractère chinois shou longévité encadré par mes hypnographies : signes imaginaires faits comme en état d’hypnose

Ajout

Cette nuit je lis les vers tirés de derrière les fagots d’un poète chinois ivre

À vrai dire je n’y comprends rien leurs caractères calligraphiques ayant disparu de notre abécédaire

Mais je m’accroche aux branches

Au-delà des mots écrits Je cherche la parole de celui qui dans son ivresse les prononça

Alors un instant vient où la lune d’hiver glisse sur les livres de ma bibliothèque

Au point de les transformer en Acherontia atropos

(Sphynx tête de mort)

J’imagine qu’ils vont aller rejoindre les rêves de ce calligraphe inconnu qui me ressemble comme deux gouttes d’encre plus noires que la nuit