ALEXANDRE SKOBOV

ALEXANDRE SKOBOV

L’historien et journaliste Alexandre Skobov a été condamné, le 21 mars, par un tribunal militaire de Saint-Pétersbourg, à seize ans de prison pour « apologie du terrorisme » et « participation aux activités d’une communauté terroriste ». En réalité, c’est son opposition à la guerre contre l’Ukraine qui lui vaut cette condamnation.

Skobov, contrairement à la majorité de ses collègues des médias russes dits « indépendants », a refusé par principe de se soumettre aux lois répressives restreignant la liberté d’expression, et ce bien avant 2022. Rejetant l’autocensure, Skobov ne craignait pas d’utiliser les mots « annexion » ou « agression », et qualifiait Poutine de « nouveau Hitler ». Lors de son procès, il a refusé de se plier aux règles du jeu, déclarant : « Je ne reconnais pas et je ne respecte pas votre tribunal. » Il s’en est pris à « cette clique au pouvoir qui pue les cadavres : dans la préparation, le déclenchement et la conduite d’une guerre d’agression, dans les crimes de guerre en Ukraine, dans la terreur politique en Russie, dans la corruption de mon peuple », avant de conclure en criant : « Gloire à l’Ukraine ! »

Skobov a été arrêté il y a un an. « Aujourd’hui, ce monde vole en éclats sous les coups de deux scélérats qui s’y attaquent de concert : celui du Kremlin et celui de Washington, selon ses propres termes. Nous assistons à une tentative immonde d’alliance purement impérialiste entre deux prédateurs. » 

« L’avenir n’est pas écrit, a-t-il rappelé dans une lettre à sa fille peu avant le verdict. C’est une bataille. Et même si, à un moment de l’histoire, nous perdons une manche, la lutte continue. »

Extraits tribune sur Le Monde 15 avril 2025

ET SI L’ON N’OUBLIAIT PAS L’UKRAINE

LA DÉFAITE DE LA RUSSIE PERMETTRA AUX RUSSES DE REPENSER LEUR HISTOIRE

Le Monde daté du 6 novembre 2023

Vous défendez l’idée que la guerre s’arrêtera lorsqu’il y aura un changement à l’intérieur de la société russe. Qu’est-ce qui nourrit cet espoir ?

Mon point de vue est peu partagé en Ukraine. Beaucoup sont enclins à penser qu’il n’y aura jamais de changement en Russie. Ce raisonnement repose aussi sur une longue histoire. L’élite russe estime de son devoir de soumettre l’Ukraine. Moscou se croit l’héritière de la Rus’de Kiev [ou Russie kiévienne, entité politique fondée en 980 et rassemblant des territoires à cheval sur la Biélorussie, l’Ukraine et la Russie]. Puisque le baptême chrétien du prince Vladimir de Kiev fait partie de l’histoire russe, l’élite moscovite pense que Kiev doit, quoi qu’il en coûte, faire partie de l’Etat russe. La société russe le pense aussi.

Cette guerre, aujourd’hui, peut être porteuse de salut pour la Russie, comme la capitulation à la fin de la seconde guerre mondiale l’a été pour l’Allemagne, en 1945. La défaite de la Russie est importante au sens moral, car elle donnera au peuple russe l’occasion de repenser son histoire.

Myroslav Marynovytch

Recteur de l’Université catholique ukrainienne de Lviv, Myroslav Marynovytch, 64 ans, est l’un des derniers dissidents soviétiques ukrainiens vivants.

Son engagement pour la défense des droits de l’homme lui a valu, en 1977, une condamnation à sept ans de goulag.

 Il a purgé cette peine au tristement célèbre camp Perm-36, à 1 500 kilomètres de Moscou, dans l’Oural, suivi de cinq années d’exil au Kazakhstan.

Il est aujourd’hui l’une des figures intellectuelles les plus respectées d’Ukraine.

LA CHUTE DE LA MAISON RUSSIE

D’ailleurs, ne soyez pas offensée de ce que je dis de la Russie. Même en laissant de côté le point, trop long à discuter, de sa politique actuelle, vous savez que je resterai toujours fidèle à la Russie de Tolstoï, de Dostoïevski, de Borodine. Marcel Proust lettre à Mme Scheikévitch
Le plus tôt sera le mieux
 
 
La Roue de Fortune, poussée par les basses œuvres du tsar du Kremlin, dégouline du sang des enfants de l’Ukraine
 
Avant qu’elle ne retombe, écrasant le tyran, arrachant ses mensonges et entraînant la chute de la maison Russie

Dans l’ère plénière du langage s’intègre la durée d’une parole d’homme. Et l’homme de langage s’avance encore parmi nous. Il couvre du regard le temps des morts et des vivants. A l’empire du passé il joint l’empire du futur, où court son ombre prophétique.

Saint John Perse



L’ART DE LA DESTRUCTION


Aucun pays n’a mieux maîtrisé l’art de la destruction de l’âme de ses citoyens que la Russie.

Joseph Brodsky 1


Les bonnes raisons de faire la guerre sont toujours mauvaises.

Dans la tête du petit fonctionnaire soviétique du KGB devenu Espion en Chef et Maître Sans Vergogne de la Russie,
C’était le moment de déclencher son « opération spéciale » : une bonne petite guerre pour purger les voisins ukrainiens de leur passion démocratique tournée vers l’Union Européenne.


Et à la fin, on éventre les immeubles, on détruit théâtres, hôpitaux et maternités, on affame et on prive d’eau les villes assiégés, on tue et massacre, et les enfants ont autant de valeur que des chiots que l’on jette à l’eau.


1 Joseph Brodsky (1940-1990)

Arrêté pour « parasitisme social », (lire : « activité d’un poète récalcitrant »).
Exfiltré aux Etats Unis, prix Nobel de Littérature en 1987.
 

Quel lecteur de poésie n’a pas gardé en mémoire le fameux dialogue, devant la cour, à Leningrad, entre le juge et Iossip Brodski, lors de son procès pour «fainéantise », « parasitisme » en octobre 1964 ? À la déclaration de Brodski, qui rappela qu’il était « poète, traducteur poète », le juge eut cette répartie : « Et qui t’a reconnu comme poète ? Qui t’a fait entrer dans les rangs des poètes ? » À quoi l’auteur des Collines répondit : « Personne. Et qui m’a fait entrer dans les rangs de l’espèce humaine ? »