UNE VOIX


 
Ainsi, qu’il laisse un nom ou devienne anonyme, qu’il ajoute un terme au langage ou qu’il s’éteigne dans un soupir, de toute façon le poète disparaît, trahi par son propre murmure et rien ne reste après lui qu’une voix, -sans personne.
Jean Tardieu

La voix, il suffit qu’on l’écrive, pour qu’elle se mette à exister.
Une voix perdue, mais qui en douce, remue et entraîne ma plume (plumplum tralala)
Une voix retrouvée et qui prend la forme…qui nous reste habituellement invisible, celle du Temps. 1
Une voix venue d’Homère, le Père du Grand Récit : Conte-moi Muse l’aventure de l’Inventif  2
Une voix qui parle d’abord au papier avant d’être libérée par l’inflexion des voix chères qui (hélas) se sont tues 3
Une voix dont le souvenir à la couleur du sable qui s’écoule grain à grain
Une voix sans personne qu’affectionnait le poète Jean Tardieu
Une voix unique que l’on lit la nuit au lit : Ô lit heureux l’unique secrétaire de mon plaisir 4 )
Une voix qui crissait sur l’ardoise et son alphabet
Une voix enfantine dont j’ai perdu la clé
Une voix collective jouissive dans la rue et sur les murs du Grand Mai
Une voix étouffée par les mots de la tribu
Une voix en allée sur les lèvres des trépassés

1 Marcel Proust 2 L’Odyssée (traduction Philippe Jaccottet) 3 Paul Verlaine 4 Rémi Belleau 

une voix que l’on lit au lit

CARDUELIS CARDUELIS


Quand l’émotion fait dévier ce que nous voulions dire.
Marcel Proust Le Temps retrouvé

Pourquoi ce qui arrive au monde
arrive-t-il ? La question ainsi posée
je me retire sur la pointe d’un stylo
noir comme le linge des Trépassés
Qui dansent au bal du Temps retrouvé
de leur enfance reine -Ô saisons,
Ô châteaux ! 1  Ô champ de chardons
Où guette le lézard amoureux 2
De Carduelis Carduelis
Le chardonneret au cœur d’hirondelle

1 Rimbaud Arthur 2 Char René


L’ART DE DÉNOMMER LA MER

 
de la mer inépuisable
de l’Odyssée
d’ Ulysse et de Simbad
 
 
de la mer inépuisable
sur le roc ou le sable
toujours recommencée*
 
*Paul Valéry
 
 
de la mer en péril
continent de plastique
des hommes prédateurs
 
 
de la mer mon amour
que nous avons tant aimée
 
 
de la mer à tes pieds
qui s’ouvre sur les rêves
d’éternité
 
 
de la mer retrouvée
allée avec le soleil*
 
*Rimbaud
 
 
de la mer maternelle
qui nous berce
en son sein
 
 
de la mer qui remue
page blanche
plage grise
 
 
de la mer qui écoute
les voix des trépassés
 
 
de la mer de la lune
qui jouait sur les flots*
 
*Hugo
 
 
de la mer qui fleurit
le corps des enfants rois
de la mer de mes filles
qui en faisaient des châteaux
 
 
de la mer assassine
noire et rouge sang
 
 
 
 
de la mer de tes nuits
cet enfant d’Idumée
que l’air du vierge azur affame*
 
*Mallarmé
 
 
de la mer des pensées
du temps
qui joue avec les dieux
 
 
de la mer de l’Histoire
avec sa grande hache*
 
*la citation la plus répétée
de Georges Perec
 
 
de la mer du delta
où se jette le fleuve
Utopia
 
 
de la mer de tes lèvres
qui faisaient le sel
de ma vie
 
 
de la mer de ta mort
Sirène au chant déchiré
 
 
de la mer z’yeux fermés
en ses derniers reflets