En écrivant sur cette double page vierge, j’imagine l’avoir déjà rencontrée en ouvrant au hasard un livre de ma bibliothèque. Loué soit le rêve qui nous révèle que nous pouvons inventer un paradis dans la jubilation de phrases qui, en refermant le livre, vont s’effacer. Les roses de Ronsard, le fleuve d’Héraclite, le désert habité par un petit prince, les oiseaux d’Alexis Léger alias Saint John Perse et les chansons des Anonymes, jaillissant comme les étincelles d’un feu bataillant jusqu’à l’aube. Toute la nuit alternant lettres vives et lettres mortes, les monstres de Goya (Sommeil de la Raison) et, de Paul Verlaine, les oxymorons : une aube affaiblie verse par les champs, la mélancolie des soleils couchants.
Cette double page vierge que nul lecteur ne feuillettera sans quelque effroi, en se demandant, mais que diable avait écrit ce rêveur solitaire pour que ses phrases par la suite s’effaçassent ? Non rayées, raturées, biffées, comme font les écrivain.e.s insatisfait.e.s., mais par on ne sait quel tour de passe-passe, perdues à jamais.
Enfin, si l’on veut bien se donner la peine de relire ce qui précède, pas tout à fait…
https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi
« Puis vous m’avez perdu de vue ; un vent qui souffle
Disperse nos destins, nos jours, notre raison,
Nos cœurs, aux quatre coins du livide horizon ;
Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière. »
Victor Hugo / Les Contemplations/Écrit en 1846
J’aimeJ’aime