C’EST UNE LONGUE HISTOIRE
C’est une longue
histoire. Anachronique, approximative, exemplaire, singulière, embrouillée,
intranquille, incompréhensible ; elle est dans la main de celui qui
l’écrit, à la lettre, la lie, dans le même temps, à mille manières qu’il a eu
de se la raconter, en la lisant, comme si c’était la sienne, sur bien des
livres inépuisables, inachevés ; en l’écoutant, cette longue, très longue
histoire, dans bien des voix de plein vent, des comptines d’écoliers, des
discours raffinés, des poèmes qui nous emportent dans la mémoire de nos oublis…
C’est ma propre
histoire. J’y aiguise ma plume, au sens propre, depuis belle lurette, passages
à l’acte quotidiens, sans plan, mais non sans attention particulière, sans
lecteur, mais non sans souci de laisser libre cours à la vie qui va, qui passe,
miroite, joue, jouit…et meurt. Amour, amor,
la mort y mord.
C’est l’histoire
banale d’une vie minuscule, mais écrite par celui-là même, qui, la désignant
ainsi, s’en échappe, en rajoute, la diversifie ; rythmes et rimes, le plus
souvent, dans la forme que déploient ses poèmes ; monologue pluriel où se
mêlent le jeu jouissif du je et du tu, de l’il et de l’elle, du nous qui dénoue ;
art d’exécution, dont on lance les flèches, qui jamais n’atteignent leur blanc,
cette page sans cesse recommencée, que l’on croit naïvement faire vibrer, mais
qui souvent se glace si on prend le temps de relecture.
C’est une drôle d’histoire quand même ; quand, même si, l’écrire ainsi tient du tourbillon, d’un attrait pour le changement de perspective, les hasards d’infimes découvertes par dissociation d’idées, petites équivoques par sauts et gambades que l’on ne sait sur quel pied danser. Une drôle d’histoire, issue d’un « drôle », un fils unique de petits paysans de l’Ariège, quand le mot « paysan » recouvrait encore un sens.
C’est une histoire
criblée de silences et de citations sans guillemets, portée par le plaisir de
ce tissage, pièce à pièce, d’une vie qui, comme dit le romancier, a coulé ; image du ruisseau devenu
rivière, puis jeté dans ce fleuve qui, quel que soient ses méandres, atteint un
jour, une heure, cette mer du mourir.
C’est une histoire vraie, c’est dire s’il est presque impossible d’en rendre compte ; mais « presque » ce n’est pas « rien », ce n’est pas le noir absolu qui recouvre les vies que l’on dit, à tort, ordinaires. C’est une histoire vraie, à laquelle je désire, malgré tout, croire ; jouer le jeu de qui la perd la gagne ; dans la magie d’un livre qui, à défaut de voir le jour, aura au moins une lectrice, experte et affectueuse, prenant le temps d’en parcourir les tenures et lopins, pour sauver ce qui peut l’être du passé, faisant de ses guenilles quotidiennes et de ses habits du dimanche, quelques présents de filiation et, qui sait, de transmission.
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