PETITE MUSIQUE DU SEREIN

09 | juillet | 2006 | POÉSIE MODE D’EMPLOI

PETITE MUSIQUE DU SEREIN

Tissant ce frêle mais unique bon heur

Promeneur solitaire

Je voy bien plus clair en temps serain*

Apprenant à vivre à propos

Sans donner de conseils

Cherchant liberté secrète

Sans lanterne à montrer

Ou lustre de chaudronnier

Promeneur des mots à choisir un à un

Et tous ensemble

Comme ces Praticiens du Rêve **

Qui nous tiennent « éveillés »

*

* Michel de Montaigne

**Michel Perrin

JE NAQUIS EN ARIÈGE

Je naquis en Ariège

En quarante-cinq Ah

Ris ai-je dit au chat

Qui la langue me tire

Mon père labourait

Semait le blé et l’orge

Ma mère cuisinait

Les produits du jardin

Le poulet le lapin

Le canard le cochon

L’omelette des poules

La soupe au lait des vaches

Que mon père trayait

Fils unique j’étais

L’espoir de la famille

Instituteur serais

Rien de moins rien de plus

J’apprendrais za compter

Lire faire pâtés

D’encre Bâtons et lettres

Aux marmots de l’école

Plus de porcs de couvées

De labours de semailles

La mort des paysans

La vie d’un enseignant

Et voilà tout est dit

Le chat s’est endormi

Je lui ai donné ma langue

Et cet écrit étrange

Des débuts de ma vie

Avec les animaux

Les projets de mes vieux

Confidences à mi mots

Pensées les yeux fermés.

Sans flonflons ni enflure

Entre rires et pleurs

Maintenant que les fleurs

Des fêtes de nos vies

Ne sont plus qu’avenir

Au passé aboli.

C’EST UNE LONGUE HISTOIRE

C’EST UNE LONGUE HISTOIRE

C’est une longue histoire. Anachronique, approximative, exemplaire, singulière, embrouillée, intranquille, incompréhensible ; elle est dans la main de celui qui l’écrit, à la lettre, la lie, dans le même temps, à mille manières qu’il a eu de se la raconter, en la lisant, comme si c’était la sienne, sur bien des livres inépuisables, inachevés ; en l’écoutant, cette longue, très longue histoire, dans bien des voix de plein vent, des comptines d’écoliers, des discours raffinés, des poèmes qui nous emportent dans la mémoire de nos oublis…

C’est ma propre histoire. J’y aiguise ma plume, au sens propre, depuis belle lurette, passages à l’acte quotidiens, sans plan, mais non sans attention particulière, sans lecteur, mais non sans souci de laisser libre cours à la vie qui va, qui passe, miroite, joue, jouit…et meurt. Amour, amor, la mort y mord.

C’est l’histoire banale d’une vie minuscule, mais écrite par celui-là même, qui, la désignant ainsi, s’en échappe, en rajoute, la diversifie ; rythmes et rimes, le plus souvent, dans la forme que déploient ses poèmes ; monologue pluriel où se mêlent le jeu jouissif du je et du tu, de l’il et de l’elle, du nous qui dénoue ; art d’exécution, dont on lance les flèches, qui jamais n’atteignent leur blanc, cette page sans cesse recommencée, que l’on croit naïvement faire vibrer, mais qui souvent se glace si on prend le temps de relecture.

C’est une drôle d’histoire quand même ; quand, même si, l’écrire ainsi tient du tourbillon, d’un attrait pour le changement de perspective, les hasards d’infimes découvertes par dissociation d’idées, petites équivoques par sauts et gambades que l’on ne sait sur quel pied danser. Une drôle d’histoire, issue d’un « drôle », un fils unique de petits paysans de l’Ariège, quand le mot « paysan » recouvrait encore un sens.

C’est une histoire criblée de silences et de citations sans guillemets, portée par le plaisir de ce tissage, pièce à pièce, d’une vie qui, comme dit le romancier, a coulé ; image du ruisseau devenu rivière, puis jeté dans ce fleuve qui, quel que soient ses méandres, atteint un jour, une heure, cette mer du mourir.

C’est une histoire vraie, c’est dire s’il est presque impossible d’en rendre compte ; mais « presque » ce n’est pas « rien », ce n’est pas le noir absolu qui recouvre les vies que l’on dit, à tort, ordinaires. C’est une histoire vraie, à laquelle je désire, malgré tout, croire ; jouer le jeu de qui la perd la gagne ; dans la magie d’un livre qui, à défaut de voir le jour, aura au moins une lectrice, experte et affectueuse, prenant le temps d’en parcourir les tenures et lopins, pour sauver ce qui peut l’être du passé, faisant de ses guenilles quotidiennes et de ses habits du dimanche, quelques présents de filiation et, qui sait, de transmission.

*

QUI SUIS-JE ? (un bon sauvage)

Qui suis-je ?

Je suis une carte magnétique

utilisée sans contact

par mes filles

pour aller payer

ma dernière dette





Qui suis-je ?

Toute ressemblance à une de mes photographies

Ne saurait être que pure coïncidence





Qui suis-je ?

Une vie nue

Un bon sauvage

Qu’aucun pouvoir souverain

Ne recouvrira

de ses oripeaux





QUI SUIS-JE? (trame et drame)

Qui suis-je ?

Je suis ce présent remémoré

monté de toutes pièces

De bric et de broc

mais aussi de traces et d’aura

(sans guillemets)





Qui suis-je ?

Je suis insignifiant

dans le noir abîme du temps

et signifiant

que quelqu’un est passé par là





Qui suis-je ?

Une trame et un drame

Drame de la disparition

Trame du lipogramme sans e

Et sans elle

Morte en neuf mois d’un cancer