ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT 2 L’AMOUR DES BISTROS

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L’AMOUR DES BISTROS

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? – Ah ! je me suis perdu dans le labyrinthe des cafés de Paris. – Des bistrots, veux-tu dire ? -Oui, et même des bistros. J’ai longtemps écrit sur leur table. -Et tu ne t’es pas fait jeter ? -Non, pas sur la table même (encore que), mais sur un carnet posé sur la table d’un troquet, à côté d’un demi ou d’un café. D’ailleurs mes carnets s’appelaient « Bistrotable ». -Et tu ne peux pas m’en donner un échantillon ? – Pour ça, faudra que je cherche dans mon cafouch. – C’est quoi ça ? – Le cafouchi, un mot de Marseillais et donc de Martégal (c’est mon cas), c’est l’endroit sous l’escalier ou ailleurs, où tout s’entasse, pêle-mêle. – Mais je suis sûre que tu en as gardé une version sur ton ordi. – Promis je chercherai demain, mais vu ton impatience je vais improviser, style I remember. – Je suis toute ouïe. -Je me souviens de À la bonne bière, rue du faubourg du Temple, à côté de la piole de mon pote Juan qui m’hébergeait. Y avait un type qui passait chaque soir en promenant un rat au bout d’une ficelle. Je me souviens du Cluny sur le Boulmich. C’est là que j’ai lu la « Théorie de la démarche » de Balzac. Il décrivait les gens qui passaient devant lui et les classait dans des catégories qu’il inventait au fur et à mesure, comme Arlequins, Marins, Militaires, Cocottes, Napoléons, et tutti quanti. Je me souviens du Zimmer, place du Chatelet, où j’imaginais Proust dansant sur les tables. Et, bien sûr, je me souviens du Mabillon, où j’imitais Perec, nommant (il s’enregistrait et on peut entendre toujours sa voix sur un postcast de France cul.) les autobus, le 86, le 87, les ouatures et camionnettes portant parfois des réclames « Les cocotiers sont arrivés ! » et même parfois les passants avec ou sans parapluie. Je me souviens …-Super. J’attends avec curiosité que tu me sortes tes vieux rossignols nichés quelque part sur ton disque dur. -Oh tu sais, je crois qu’avec le temps, ce sont devenues de vieilles chouettes.

MOTS PERDUS SANS COLLIERS





Entrez et installez-vous

Sur ma balançoire

Le branle pérenne des mots

Et des choses

Perdues sans colliers





La chaise de Van Gogh

Le billard du café

Les concours de belote

Où l’on revenait

À l’aube

Le pull puant le tabac





Et notre promenade erratique

Une nuit que nous cherchions la lune

Aperçue par Vincent

Cent ans auparavant dans les Alpilles

J’AI ÉCRIT TOUTE LA JOURNÉE

J'ai écrit toute la journée
une histoire qui s'est révélée
sans solution

J'ai écrit toute la journée
l'histoire d'un gardien de phrases
fantômes

J'ai écrit toute la journée
l'histoire d'un écrivain raté

J'ai écrit toute la journée
dans un café plein de miroirs
et de bruits d'œufs que les clients
cassent sur le zinc

J'ai écrit toute la journée
dans le chant des percolateurs
et des sirènes de New York

J'ai écrit toute la journée
passant d'un garçon
avec petite queue de cheval
à une serveuse en nœud papillon

J'ai écrit toute la journée
dans l'inconfort et l'intranquillité

J'ai écrit toute la journée
une histoire qui s'est révélée sans solution
mais qui m'a rendu au bout du conte
plus serein et plus léger