LA NUIT DES DONS ET DES PERTES
« La vérité est un miroir brisé tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé
Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s’y trouve. »
Rûmi (un « soufiste » du XIII° siècle)
Je me perds dans Borges la nuit des dons – noche de los dones – brise le miroir et le masque –el espejo y la máscara –
Je me perds dans les mille morceaux de cette œuvre dont chacun semble contredire le précédent et le suivant, miroir brisé par le poing d’un dieu jaloux qui ne laisse aux lecteurs que les fragments d’une allure de vérité.
Je me perds à l’angle de la rue Bernardo de Irigoyen et de la rue des Bergeronnettes, de celles qui suivaient mon père laboureur, et que j’habite pour de vrai maintenant.
Je me perds dans les prologues qui mènent immanquablement au jardin des sentiers qui bifurquent et qui font pièce à des ouvrages hétérogènes d’écrivains improbables.
Je me perds dans les visions simultanées de l’Univers que le langage ne peut traduire que successivement :
la neige coiffant la statue d’un soldat de 14 sur la place d’Ancizan (Hautes Pyrénées),
les grains de sable du Sahara coulant dans le tableau d’un artiste marocain que j’ai acquis grâce à une amie galeriste de Sausset les Pins,
la voie lactée où marchent sans cesse les indiens morts de la Goajira.*
-Tu as bien vu tout en couleur ? me demande Borges.
-Oui j’ai retrouvé mon livre d’enfant où toutes les lettres pendant la nuit se mélangeaient et m’offraient au matin un chant nouveau.
*Le chemin des indiens morts Michel Perrin (1976)

Sablier des dons et des pertes