UNE NUIT DE PERTES ET DE DONS

LA NUIT DES DONS ET DES PERTES

« La vérité est un miroir brisé tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé

Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s’y trouve. »

Rûmi  (un « soufiste » du XIII° siècle)

Je me perds dans Borges la nuit des dons – noche de los dones – brise le miroir et le masque –el espejo y la máscara

Je me perds dans les mille morceaux de cette œuvre dont chacun semble contredire le précédent et le suivant, miroir brisé par le poing d’un dieu jaloux qui ne laisse aux lecteurs que les fragments d’une allure de vérité.

Je me perds à l’angle de la rue Bernardo de Irigoyen et de la rue des Bergeronnettes, de celles qui suivaient mon père laboureur, et que j’habite pour de vrai maintenant.

Je me perds dans les prologues qui mènent immanquablement au jardin des sentiers qui bifurquent et qui font pièce à des ouvrages hétérogènes d’écrivains improbables.

Je me perds dans les visions simultanées de l’Univers que le langage ne peut traduire que successivement :

la neige coiffant la statue d’un soldat de 14 sur la place d’Ancizan (Hautes Pyrénées),

les grains de sable du Sahara coulant dans le tableau d’un artiste marocain que j’ai acquis grâce à une amie galeriste de Sausset les Pins,

la voie lactée où marchent sans cesse les indiens morts de la Goajira.*

-Tu as bien vu tout en couleur ? me demande Borges.

-Oui j’ai retrouvé mon livre d’enfant où toutes les lettres pendant la nuit se mélangeaient et m’offraient au matin un chant nouveau.

*Le chemin des indiens morts Michel Perrin (1976)

Sablier des dons et des pertes

ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT? 4 Le voyage dans la voie lactée

LE VOYAGE DANS LA VOIE LACTÉE

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? – J’arrive à peine d’un long voyage dans la voie lactée. Une giclée de lait de la déesse mère de l’enfant Zeus, trop avide à titiller le téton de sa maman. -Non ? -Oui, c’est ce que se racontaient les anciens Grecs. -Nom de Zeus ! -Ah il y a de quoi jurer. -Et pourquoi donc ?  – Pour les dimensions de la Voie, une galaxie de centaines de milliards d’étoiles. -Y compris notre Soleil ? -Évidemment, et sa petite Terre, minuscules au regard de la voûte éclairée qui traverse notre ciel. -Et qu’as-tu encore vu dans ton voyage au long cours ? – Une chose que peu de gens connaissent. C’est sans doute le fait que j’ai revu hier, non sans une intense émotion, le film tourné par mon ami Michel dans cette contrée semi-désertique du Venezuela où vivent les indiens Goajiro. Notre voie lactée est pour ces amérindiens le chemin des morts. Quand leur âme quitte la terre, elle s’en va sur ce chemin qui les conduit vers l’île d’Hépira où dans un premier temps ils font bombance et se livrent à toutes les débauches possibles et imaginables. -C’est ça leur paradis ? -Oui, mais attends, il y a une seconde phase, symbolisée par un second enterrement où l’on nettoie soigneusement les derniers ossements des défunts. « Alors nos âmes, racontaient les derniers conteurs du mythe, reviennent sous forme de Pluie (Juyá) et de ses fruits (melon, pastèque, maïs, haricot), de gibier, de tout ce qui fait flore et faune du lieu. – Merci pour m’avoir rendue curieuse de cette autre voie. – Oui, je ne sais combien d’indiens encore y croient ? Ceux et celles qui cheminent dans la voie lactée, spîna wayú ouktïsï, le chemin des indiens morts. Le chemin des indiens morts Michel Perrin 1976 pour la première édition https://www.youtube.com/watch?v=UCTcCYT8mVQ

JE ME SOUVIENS de l’art d’enchaîner





13 Je me souviens de Messieurs les censeurs Bonsoir !

14 Je me souviens que ma grand-mère Germaine ramassait des orties pour en nourrir ses petites oies

15 Je me souviens d’Action Poétique, de Change, mais pas de Tel Quel





16 Je me souviens du rouge est mis et du cadavre exquis

17 Je me souviens des Pléiades qui sont les étoiles de la pluie dans la mythologie des indiens Goajiro

18 Je me souviens du Chemin des indiens morts, le recueil de ces mythes rapportés et mis en perspective structuraliste par mon ami Michel (Perrin)





19 Je me souviens d’avoir lu à haute voix sans rien y entendre les Illuminations dans les Andes fleuries de frailejones « espeletia pycnophylla »

20 Je me souviens des frères des frères des frères il y avait il y avait il y avait une fois…ce mythe nous retiendra très longtemps

21 Je me souviens des navets que mon père tranchait pour nourrir les cochons (mais je ne me souviens pas des rutabagas)





22 Je me souviens des Tres Tristes Tigres  (Trois tristes tigres) et de la nuit passée à La Havane avec mon amoureuse

23 Je me souviens de l’atelier-fruits, inducteurs d’un atelier d’écriture imaginé par Josiane Dorio, que nous avions préparé de concert et fait exécuter par des participant.e.s enthousiastes à la Bugade de Villeneuve les Avignons

24 Je me souviens de l’art d’enchaîner dans des éléments non-formels tels que reflets, résonances, allusions, transferts, supputations, selon Bashô (1644-1694)