TOI MON AUTRE MOI

TOI MON AUTRE MOI

Le Poète doit, selon un fragment retrouvé sur une tablette de l’Antiquité, conduire son lecteur de la fumée au feu.

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JE NE SAIS QUE TE DIRE. L’aube affaiblie* avance sa plume, tu n’es plus là, mon autre moi, pour qui j’aimais à vivre.**

Il y aura quatre ans, jour pour jour, que celle qui s’appelait Josiane Dorio, s’éteignait.

Moi, je te cherche toujours. Je te lis dans Montaigne, Apollinaire et d’autres chers et chères amies disparues, mais ce n’est pas eux et ce n’est pas elles, mais moi seul qui suis l’archéologue obstiné de tes vies.

Car, comme nous tous, si l’on veut bien y être attentifs, nous avons, au cours de notre unique voyage, plusieurs vies, nous portons, sur la scène du monde, plusieurs masques, nous sommes, chemin faisant, plusieurs personnes qui recouvrent, saison après saison, notre enveloppe humaine.

Et ce que je te dis là, ce matin, dans la petite lueur de l’aube naissante, j’espère que d’autres que moi, pourront l’écrire un jour, à leur manière, selon la forme de leur récit et l’attention portée, non à la fumée de leurs vies, mais au feu qui les anime et les renouvelle.

*Paul Verlaine ( 30 mars 1844-8 janvier 1896)

** Philippe Desportes (1546-1606)

 Josiane Dorio (10 avril 1952-25 mai 2014)

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 New York Astoria 35 th street 25 mai 2018

LE FEU SECRET



Faire un poème est une fête où le rituel « organise tout le possible du langage ». Ce peut-être bref, un feu d’étincelles, ou très long, interminable. On essaie, des heures entières, d’arbitrer, en vain, les conflits permanents entre « l’oreille », le son, et « l’esprit »,  le sens.

La fête finie, que reste-il, si ce n’est ce peu de grains, sur le papier ou dans le sablier d’un recueil, que l’on dit de « poésie ».

« Et nous les os devenons sable et poudre », écrivit Villon, en forme de ballade, pour ses « frères humains », s’attendant comme lui à être pendus.

Il est un autre poète, que tout le monde a oublié, qui, filant la métaphore, se vit, lui aussi, « se la couler douce » après sa mort, dans « l’horloge de sable » :

« Le feu secret qui me rongea

En cette poudre me changea

Qui jamais ne repose. »*

*Charles de Vion, seigneur de Dalibray.