UNE NOUVELLE HÉSITANTE

UNE NOUVELLE HÉSITANTE

Entre Séville et Grenade

Cette fois le choc des coïncidences t’entraîne à Grenade (si, en su Granada, comme dit un poème dédié à Federico García Lorca). Une dame à l’ancienne, avec une mantille de dentelle noire sur les cheveux, te montre ses travaux de broderies, qu’elle fit, faute de mieux, en attendant « son homme », le futur mari qui lui était destiné. Peut-être parce que tu apparais curieux, intéressé, elle détaille pour toi les mille et un motifs de fleurs, les points de croix, les initiales de noms et de prénoms entrelacés. Mais tu n’oses pas lui demander ce qu’elle en pense vraiment quarante ans après. Ce qu’elle pense de cette servitude volontaire; elle cousant, brodant en attendant de faire don de sa virginité, lui, la rencontrant de temps en temps, en tout bien tout honneur, faisant sérieusement ses études de médecine, mais, les choses étant ce qu’elles sont, courant avec quelques amis les bordels, après avoir fait le tour des bars à tapas, où l’on se raconte l’une après l’autre des histoires de sexe à mourir de rire. Une virée dans l’air du temps de cette Espagne franquiste du sabre et du goupillon.

De Grenade à Séville, il n’y a qu’une chanson légère de Iolanda Gigliotti alias Dalida, où l’on retrouve mantilles, « des yeux noirs qui pétillent », « par-dessus la charmille ». Toi, tu as découvert Sevilla, la maravilla, en pleine semaine sainte. Mais loin de te réjouir, les défilés d’encapuchados à la mode Ku Klux Klan, t’avaient glacé. Au son des tambours et des trompettes militaires, tu avais ressenti une véritable terreur. C’étaient des morts vivants qui portaient le fardeau d’un Jésus (Réssous) crucifié et d’une Vierge dolorosa, des Douleurs.

À ce moment du récit, tu t’aperçois que tu t’es engagé sur une mauvaise voie, les Stations, la Passion, ces restes de religion dolente, vulgairement parlant, c’est pas ton truc (à plume !) Tu aurais dû rester à Granada, toute une nuit où l’on boit de la manzanilla, (un vin très sec et doré), en écoutant le chant profond d’une guitare gitane : voy como ayer gitana, murerte mía, por estos aires de Granada, mi Granada Machado hommage à Lorca « Aujourd’hui comme hier, promenant ma mort gitane, dans l’air de Grenade, de ma Grenade ».

INSOMNIE LA BIENHEUREUSE

Insomnie la bienheureuse qui me permet décrire, de conter fleurette à mon papier blanc comme la nuit, dalterner mes lectures dune page de la Pléiade, comparée à loriginale éclairant ma tablette de cette langue castillane que no sé manejar, (que je ne sais pas manier) dit faussement lauteur de Dos formas del insomnio.

Insomnie féminine pour nous Français, mais insomnio, demonio, un démon pour ceux qui luttent contre, (Borges, puisque vous laviez deviné il sagit de lui), en fait la liste : « compter au cœur de la nuit les coups de cloches fatidiques, tenter de contrôler sa respiration, tourner et retourner sur son oreiller, et surtout saberse culpable de velar cuando los otros duermen (se sentir coupable de veiller pendant que dorment les autres).

Tout le contraire dInsomnie la bienheureuse, celle qui sous son influence nous permet de déployer nos ailes de Phénix rebelle, en toute innocence.

Cette nuit je réentends leau qui sécoule des fontaines de lAlhambra, les rumeurs du patio de los Naranjos et de celui des Lions, et les couplets qui me redisent la fuite de Grenade en 1492 du rey chico, ce dernier petit roi du nom de Boadbil et que lépoque hypermachiste accusa de « pleurer comme une femme son royaume quil navait su défendre comme un homme ».

Insomnie à présent écrit son épilogue, mais sa page au fur et à mesure se déchire inexplicablement. Une dernière métaphore complétée par cette image de Jorge Luis : dans la vaine nuit Celle qui compte les syllabes ».  

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